Comment les services policiers repèrent-ils et surveillent-ils des aspirants au djihad comme Martin Rouleau? Michel Juneau-Katsuya, un ancien officier supérieur du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), nous explique les techniques utilisées par les policiers et les services secrets.

Q: Comment repère-t-on des individus qui sont en processus de radicalisation?

R: D'abord, les services policiers travaillent avec l'internet. Il y a des sites, des blogues où ces gens se retrouvent. La police applique un peu le même modèle utilisé pour les pédophiles.

Une autre source de renseignements, c'est la communauté arabomusulmane. On l'a vu avec l'affaire de l'attentat planifié contre un train de Via Rail : les terroristes ont été dénoncés par des leaders de la communauté musulmane. Les communautés ne soutiennent pas les radicaux et veulent s'en débarrasser.

Et finalement, il y a des informations qui nous viennent de l'étranger. Les services secrets, ailleurs dans le monde, qui surveillent des radicaux pouvant être en contact avec des Canadiens. Lorsqu'ils en ont connaissance, ils transmettent alors l'information au SCRS.

Q: Comment surveille-t-on ces individus?

R: C'est un type de menace à laquelle on n'a jamais été confrontés encore. Al-Qaïda, c'étaient des groupuscules qui s'en prenaient à des cibles symboliques. Les partisans de l'État islamique, au contraire, sont prêts à s'en prendre à des personnes, totalement au hasard. À Saint-Jean, les victimes ont été prises pour cible simplement parce qu'elles portaient un uniforme.

Le niveau de surveillance dépend du niveau de radicalisation de l'individu. Le problème, c'est que ce sont des loups solitaires, ils se lèvent le matin et ils passent à l'acte. Si on croit qu'ils sont sur le point d'exploser, on les surveille de près: surveillance électronique, informatique, physique. On peut même essayer d'amener des sources à leurs côtés.

Mais ce genre de surveillance est très taxante pour les services policiers. Si on prend le chiffre récemment évoqué par le ministre Blaney, soit 80 radicaux qui se seraient rendus à l'étranger, puis seraient de retour au Canada, ça fait beaucoup de monde à surveiller. On ignore quand ils vont passer à l'action: c'est donc une surveillance 24/7. Ça peut mobiliser des centaines d'enquêteurs. Et pendant ce temps, ils ne font pas d'enquêtes, ils ne font que de la surveillance!

Q: Comment Martin Rouleau a-t-il pu échapper à cette surveillance?

R: Il n'était peut-être pas sous surveillance constante. Il ne faisait rien d'illégal dans le stationnement où il se trouvait. Si on n'a pas pu intercepter de communication où il parlait de son geste, on ne peut pas lire dans sa tête... Même s'il avait été sous surveillance étroite, comment les agents auraient-ils pu prévoir qu'il allait foncer sur deux militaires? Ça s'est déroulé trop vite, à mon avis.

Q: Quels sont les signes montrant qu'un individu se radicalise?

R: D'abord, il y a un profil précis d'individus susceptibles de se radicaliser. Il s'agit d'individus un peu désabusés de la société nord-américaine, qui voguaient un peu à la dérive, qui ne savent pas trop où s'en aller dans la vie.

Et soudainement, leurs intérêts changent. Ils aimaient le hockey et les filles? Tout d'un coup, ça change. Les amis changent. Ils font des lectures très différentes, ils s'excitent devant les nouvelles, ils s'enferment de longues heures dans leur chambre pour écouter des sites web radicaux.

Q: Que peut-on faire lorsqu'on constate qu'une connaissance ou un proche se radicalise?

R: Il est difficile d'avoir accès à des ressources adéquates actuellement. Il y a peu de spécialistes de la déprogrammation. Chose certaine, il faut tenter de maintenir ou de rétablir le plus possible la communication avec le jeune.