Alexandre Bissonnette a-t-il joué la comédie dans les heures qui ont suivi son carnage en laissant entendre qu'il se souciait du sort des blessés du 29 janvier 2017 ? A-t-il menti en affirmant à la cour, au moment de plaider coupable, qu'il regrettait « amèrement » son geste ?

C'est ce que suggère la preuve de la Couronne déposée lundi dans le cadre des représentations sur la peine. Ces nouveaux éléments dressent le portrait d'un jeune homme obsédé par les musulmans, les immigrants, les féministes et qui s'abreuve aux discours de l'Alt-right américaine.

Plus troublant encore, Bissonnette a dit en prison qu'il ne regrettait pas un instant d'avoir abattu six musulmans à Québec. En fait, son seul regret était de ne pas en avoir tué davantage.

Bissonnette a rencontré, le 20 septembre dernier, l'intervenante en santé mentale Guylaine Cayouette, qui a 32 ans d'expérience en milieu carcéral. Elle a rédigé un rapport pour faire état de la discussion glaçante qu'ils ont eue.

De prime abord, Bissonnette explique qu'il est « tanné de jouer un rôle ». « Ce n'est pas vrai que je ne me souviens de rien, je me souviens de tout », dit le jeune homme, qui affirmait pourtant l'inverse lors de son appel au 9-1-1 et de son interrogatoire au lendemain de l'attentat.

Lors du même interrogatoire du 30 janvier 2017, Bissonnette dit à l'enquêteur qu'il n'a pas utilisé son fusil pour ne pas atteindre d'enfant et ne pas faire un trop gros « ravage ». Or, selon l'enquête balistique, son fusil s'est enrayé.

C'est ce qu'il raconte à l'intervenante en septembre dernier. En arrivant à la mosquée, lui explique-t-il, il a brandi son fusil d'assaut vers deux hommes qui sortaient. Et à ce moment, son fusil d'assaut n'a tout simplement pas marché.

« Je suis venu pour tirer et mon fusil a fait un bruit. J'ai haussé les épaules en souriant pour faire comme si c'était une blague, a raconté le tueur à Guylaine Cayouette. Ils ont eu l'air un peu soulagés. Les gens étaient par terre. J'ai laissé tomber le fusil et j'ai pris mon pistolet. J'ai tiré dans la tête d'une personne à bout portant, puis une autre, puis une autre. »

Ce récit recoupe les images vidéo présentées en cour la semaine dernière.

« Je regrette de ne pas avoir tiré plus de personnes. Les victimes sont au ciel et moi je vis l'enfer », dit-il alors, toujours selon le rapport de Mme Cayouette.

« Il a spécifié qu'il aurait aimé tuer plus de personnes, étant donné ce qu'il vit depuis son arrestation », écrit-elle plus loin, précisant que Bissonnette est « hautain » et qu'il ne veut surtout pas finir avec « les crottés » au pénitencier.

Cette absence de remords tranche avec ce qu'il disait lors de son appel au 9-1-1 et le lendemain lors de l'interrogatoire. Elle détone aussi par rapport au contenu du message qu'il a lu en cour lorsqu'il a plaidé coupable à six chefs de meurtre au premier degré et six chefs de tentative de meurtre. « J'aimerais tant pouvoir revenir dans le temps et changer les choses », disait-il alors.

Dans le moule de l'Alt-right

En interrogatoire au lendemain de l'attentat, Bissonnette affirmait ne pas avoir d'idéologie. Mais l'analyse faite par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) de son portable Apple révèle une fascination profonde pour l'Alt-right américaine, cette frange de la droite qui milite en faveur des Blancs et est antiféministe.

Au mois de janvier 2017, alors qu'il était en arrêt de travail et n'allait plus à ses cours à l'Université Laval, il a consulté 398 fois des comptes Twitter liés de proche ou de loin à l'Alt-right. Il a consulté le compte d'auteurs du Daily Wire, de Breitbart, celui de Tucker Carlson de Fox News, du néo-nazi Richard Spencer, etc.

« Alexandre a tenu des propos contre les immigrants en général mais aussi contre les musulmans, dira à la police son meilleur ami. Il était contre les immigrants qui s'en venaient ici pour changer nos façons de faire, changer nos quartiers et augmenter le chômage. »

Bissonnette a aussi fait plusieurs recherches sur la grande mosquée de Québec avant de passer à l'acte, s'intéressait à l'islam, au nazisme et aux martyrs chrétiens.

Les analystes de la GRC ont aussi trouvé sur son ordinateur des images de filles issues du site de rencontre Badoo et des images de Marine Le Pen.

Le tireur de la grande mosquée de Québec n'avait jamais eu de copine, selon ce qu'il a dit lui-même aux policiers. Son père leur a aussi confié que ses relations avec les femmes étaient difficiles.

« Non, c'était dur, il avait de la difficulté à rencontrer, un manque d'estime de soi, il était complexé, expliquera son père à la police. Je ne voulais pas dire complexé, je voulais dire qu'il se trouvait petit. »

Bissonnette semblait aussi fasciné par le féminisme. Lors de ce mois de janvier 2017, il a fait une quinzaine de recherches sur deux groupes de l'Université Laval. Il allait voir assidûment les pages Facebook Féministes en mouvement de l'Université Laval (FÉMUL) et du Comité des femmes ULaval.

Il s'est même rendu sur la page de la FÉMUL le 28 janvier en soirée, 24 heures avant de tuer six Québécois de confession musulmane. Il s'était aussi beaucoup intéressé à un événement organisé par le Comité des femmes ULaval le 23 janvier.

La semaine dernière, la Couronne a révélé que Bissonnette avait consulté un montage vidéo des scènes de tuerie du film Polytechnique, où l'on voit Marc Lépine tuer des étudiantes.

Aurait-il pu tuer des femmes plutôt que des musulmans ? Ses recherches internet montrent une fascination évidente pour l'islam, ainsi qu'un intérêt marqué pour la grande mosquée de Québec.

Mais en prison, quand il parle à Guylaine Cayouette, il soutient que les victimes auraient pu être tout autre. « J'aurais pu aller tuer n'importe qui, je ne visais pas les musulmans, dit-il. Je voulais la gloire. »

La Couronne va continuer de présenter sa preuve aujourd'hui et demain. La défense prendra le relais la semaine prochaine. Bissonnette risque une peine de 150 ans de prison ferme.