Les heures d'interrogatoire du suspect de l'attentat de la mosquée de Québec révèlent que le climat politique américain d'hostilité envers les musulmans a joué un rôle dans son passage à l'acte.

« Ce qui se passe aux États-Unis politiquement depuis un certain temps semble avoir eu une influence », a dit à La Presse une source policière bien au courant de l'enquête.

Les enquêteurs fouillent toutes les sources possibles d'influence pour déterminer le mobile d'Alexandre Bissonnette.

L'homme de 27 ans est accusé de six meurtres prémédités et de cinq tentatives de meurtre.

Le prévenu a beau s'être rendu de lui-même, il a beau avoir accepté d'être interrogé pendant des heures, il a beau avoir avoué le meurtre de six personnes, les policiers doivent approfondir ses motivations.

La preuve du degré de planification des crimes est cruciale pour convaincre un jury qu'il s'agit de meurtres « prémédités », bien sûr. Mais elle servira aussi à contrer une éventuelle défense de troubles mentaux.

Les enquêteurs remontent le fil des sites internet fréquentés par le prévenu et de toutes ses possibles influences personnelles ou idéologiques. Selon cette source, ils ne lui ont trouvé jusqu'ici aucune inspiration directe, aucun mentor québécois en politique ou dans les médias - y compris les stations de radio de Québec, montrées du doigt depuis l'attentat.

La campagne et l'ascension de Donald Trump vers la Maison-Blanche ont cependant été évoquées dans l'interrogatoire.

Il a aussi été possible d'apprendre que le prévenu s'est présenté au Centre culturel islamique de Québec avec une « arme longue » en plus du pistolet 9 mm avec lequel il a tué six personnes et en a blessé plusieurs autres.

Les experts en balistique, qui passent au peigne fin la mosquée depuis dimanche, n'ont trouvé jusqu'à maintenant que des balles de 9 mm. L'arme longue de style paramilitaire ne semble pas avoir été utilisée, peut-être parce qu'elle s'est enrayée. L'ampleur de l'arsenal est aussi un élément de preuve de la planification.

TERRORISME

L'opération policière a déclenché la mise en place de la « Structure de gestion policière contre le terrorisme », impliquant la Sûreté du Québec, le Service de police de la Ville de Montréal et la Gendarmerie royale du Canada. Mais aucune accusation formelle de terrorisme n'a été déposée. Pourquoi ?

D'abord, même si ce n'est pas exclu, de telles accusations rendraient le fardeau de preuve plus exigeant et n'ajouteraient rien aux conséquences d'une condamnation : le prévenu fait déjà face au crime le plus grave, qui entraîne la condamnation à perpétuité sans libération conditionnelle avant 25 ans. Si un acte terroriste échoue et que personne n'est tué, l'accusation de terrorisme peut alors entraîner une peine plus lourde que les crimes de droit commun habituels. Pas ici.

Mais il y a surtout que la preuve requise est plus exigeante quant aux motifs de l'accusé.

Le Code criminel définit le terrorisme comme un acte commis « au nom - exclusivement ou non - d'un but, d'un objectif ou d'une cause de nature politique, religieuse ou idéologique ». L'acte doit aussi être commis « en vue d'intimider la population » physiquement ou économiquement ou de « contraindre une personne, un gouvernement ou une organisation nationale ou internationale à accomplir un acte ou à s'en abstenir ».

L'enquête n'est pas terminée et l'accusation pourrait être ajoutée, mais elle suppose une couche de preuve supplémentaire sur l'idéologie, l'intimidation de la population, etc. Cela augmente d'autant la complexité du procès - et les risques d'échec.

Ce qui préoccupe surtout les policiers est de démontrer que les crimes avaient un mobile clair - la haine des musulmans - et qu'ils ont été commis en pleine conscience.

En plus de l'horreur du crime, plusieurs comportements du prévenu soulèvent des questions quant à son état mental. On l'a vu dans le procès de Richard Henry Bain, cependant, un comportement étrange et même un passé psychiatrique sont loin d'être suffisants pour être déclaré non responsable pour cause de troubles mentaux.

Comment se fait-il que le suspect ait appelé lui-même la police de Québec pour se rendre ? Les actes terroristes et les tueries se soldent souvent par un suicide ou une confrontation fatale avec la police. Est-ce la preuve d'une forme de remords ? Du moins, les policiers estiment qu'il comprenait parfaitement la gravité de ses actes. C'est ce qu'ils entendent démontrer, pour qu'à la fin, il se dirige vers le pénitencier, et non pas vers l'hôpital psychiatrique.