Quand peut-on qualifier un attentat d'acte terroriste ? Qu'est-ce qui en est, qu'est-ce qui n'en est pas ? Dans l'urgence, commentateurs et journalistes se sont beaucoup mis les pieds dans le plat depuis dimanche. Pour y voir clair, entrevue avec le professeur de l'Université Laval Stéphane Leman-Langlois, qui se spécialise dans les questions de terrorisme et la violence politique.

QUESTION: À partir de ce que l'on sait pour l'instant, le geste d'Alexandre Bissonnette est-il un acte terroriste ?

RÉPONSE: On ne connaît pas encore ses motivations, mais quelqu'un qui ouvre le feu dans une mosquée ne laisse pas beaucoup de place à l'interprétation. À 99 %, c'est certain que c'est du terrorisme.

Q: Mais qu'est-ce qui détermine si c'en est ou pas ? Le nombre de victimes ? L'appartenance à un groupe radical ? Le fait de viser un groupe en particulier ?

R: Il y a autant de définitions du terrorisme que de personnes, y compris dans les Codes criminels d'un pays à l'autre. De façon générale, dans la recherche, on s'entend néanmoins pour dire qu'il y a terrorisme quand il y a violence ou menace de violence, quand on cherche à faire peur au plus grand nombre et quand il y a un dessein politique - une motivation idéologique ou religieuse.

Q: Et pourtant, en 1984, quand Denis Lortie a fait irruption à l'Assemblée nationale ou en 1989, quand Marc Lépine a tué 14 jeunes femmes à Polytechnique, on n'a pas parlé d'actes terroristes...

R: Il serait intéressant de retourner voir dans les archives, mais il semble en effet qu'on parlait plutôt de tueries ou de fusillades tout court. C'était pourtant assurément du terrorisme.

Q: Et les tueries dans les écoles américaines ? À Fort Lauderdale ?

R: À Fort Lauderdale, le gars est allé dans les toilettes, a sorti son arme et chargé à la ronde. Ça, ça n'a rien à avoir avec du terrorisme. C'est du pétage de coche, comme les tueries dans les écoles en général.

Q: Mais en partant, il ne faut pas être très en forme mentalement pour commettre un tel geste, qu'il réponde ou pas à la définition du terrorisme...

Il est certainement plus difficile de parler de terrorisme quand une personne est de toute évidence malade, qu'elle entend des voix. En même temps, il y a double standard ici. Il y a quelque temps, quand un musulman manifestement malade s'est retrouvé sur les terrains de la Gendarmerie royale du Canada, on n'a pas du tout hésité à en parler comme d'un terroriste.

Q: Que penser de Palestiniens qui, devant l'intensification de la colonisation israélienne, commettraient un attentat ? Où est la frontière entre le terrorisme, la guerre, la résistance ?

R: Si des Palestiniens visent un autobus transportant des civils, c'est considéré comme du terrorisme. Mais s'ils s'attaquent à des militaires, à des agents clairement identifiés du gouvernement, c'est plutôt largement considéré comme un geste de guerre. Mais encore là, certains pensent autrement. Quand un soldat américain est visé, l'armée américaine considère au contraire, elle, que c'est bel et bien du terrorisme...

Q: Tout dépend de la légitimité que l'on donne à une cause, alors ?

Non. Même si on est en faveur de l'indépendance du Québec, même si on pense que le français est menacé, ce qu'a fait le Front de libération du Québec, ça reste du terrorisme.

Q: Certains diront que le fait d'attaquer l'Irak sous le faux prétexte qu'il y avait là des armes de destruction massive, c'est aussi du terrorisme.

R: Dans les définitions, on s'attend à ce que les auteurs ne soient pas des acteurs étatiques, sinon, on parle de terrorisme d'État.

Q: Tout le monde s'étonne que Québec ne soit pas à l'abri du terrorisme. Vous l'êtes aussi ?

R: La ville de Québec et le Québec en général sont à l'abri du terrorisme. Ce qui est arrivé est un acte isolé, hyper rare, aussi rare que d'être frappé par une comète... Sauf erreur, la dernière fois que la ville de Québec a été touchée, ça remonte justement à Denis Lortie.