Frappée de plein fouet, la communauté musulmane de Québec est inquiète. «On a franchi un palier avec ce qu'on vient de vivre. Ce n'est pas une personne qui crache sur une femme voilée, qui tente de lui arracher son voile, il y a eu des morts», a souligné Mohammed Ali Saidane, un musulman intégré au Québec depuis 30 ans.

Ces accrochages malheureux, survenus au coeur du débat sur la charte des valeurs, avaient mobilisé l'attention des médias, à l'époque. La radio privée de Québec avait minimisé la signification de ces gestes. Une tête de porc devant la mosquée, une bannière hostile au-dessus d'une autoroute; depuis des années, le feu a continué de couver, semble-t-il.

«Chaque fois que je monte dans l'autobus, le chauffeur écoute ces radios, j'entends des propos qui méprisent ma communauté. Comment voulez-vous que je me sente, cela me chagrine, me frustre», a observé M. Saidane, venu épauler les leaders de sa communauté, réunis avec Philippe Couillard et le maire Régis Labeaume après les événements de dimanche soir. Dans une série de témoignages poignants et émotifs, ces musulmans étaient venus parler; même après la conférence de presse, ils continuaient de raconter leur quotidien, dans une ville au-dessus de tout soupçon.

Pourtant, le Québec est ouvert aux étrangers. Lors du déclenchement de la guerre en Irak, en 2003, pas moins de 30 000 personnes avaient bravé le froid pour manifester. «Cela ne s'est pas passé à Montréal, a souligné M. Saidane. Il faut faire la part des choses. Mais là, il faut casser ce processus pour contrer l'intolérance», a-t-il dit.

«Il y a une ambiance sournoise à Québec dans laquelle on commence à être mal à l'aise comme communauté musulmane. Il y avait une montée d'intolérance. Des actes assez graves, des gens qui crachent sur des femmes voilées, qui se font arracher leur voile. Cela a été banalisé.» 

Cela a commencé «depuis quelques années à la suite de débats publics». Le débat identitaire au Québec figure « parmi les choses », tout autant que « la politique populiste de partis de grande influence », qui ont alimenté le climat malsain. «La charte des valeurs, entre autres, les accommodements raisonnables... cela a commencé comme ça.»

Ses enfants suivent les médias sociaux : «Ils me montrent des commentaires abominables envers la communauté musulmane de Québec. Qui disent qu'il faut les tuer [les musulmans]. Des gens qui sont nos voisins, nos concitoyens, et cela passe inaperçu». Il faut se demander à quel prix on doit défendre la liberté d'expression absolue, quelle limite poser aux discours haineux.

La prière ciblée

Selon Boufeldja Bewabdallah, cofondateur du centre culturel musulman où se greffe la mosquée, il faut souligner que «cette tragédie s'est faite dans un lieu de prière, des hommes qui sont en prière. Un témoignage d'un des rescapés décrivait ceux qui sont le plus visés sont ceux qui sont debout, en prière».

Conséquence? «On commence à avoir peur, la peur va s'installer dans notre communauté, on va leur demander de ne pas se recroqueviller sur eux-mêmes. Dieu sait que c'est une pente raide à remonter... ces salauds sont en train de gagner!», a-t-il lancé.

À partir de maintenant, le centre culturel fera l'objet d'une vigilance accrue, comme toutes les mosquées. Il y avait déjà des caméras, mais «ils nous ont pris de court». La police sera consultée pour améliorer la surveillance.

Pour lui, le contexte mondial attire l'attention des jeunes. «Avec les médias sociaux, ils pensent devoir prendre les choses en main. Nous, les musulmans, on est visés partout.» Aucun indice toutefois ne laissait prévoir une telle tragédie. «Il n'y a pas eu de ces trucs vindicatifs où on envoie des mails pour nous insulter...», a affirmé M. Bewabdallah.

Des représailles sont à prévoir. Les policiers ont cette possibilité en tête, indique Philippe Couillard. Pour Mohammed Labidi, coprésident du centre, «c'est hors de question». «Je connais des milliers de gens, il n'y en a pas un qui va penser à la vengeance. Lors de la prière du vendredi, où tous les fidèles se présentent, c'est à ce moment où l'iman parle pour calmer les gens», confie-t-il.

«On ne peut rien enlever à la liberté d'expression, les gens peuvent parler contre nous. Il y a aussi que le Québec a changé, les événements qui se passent dans le monde, les médias répercutent ces drames, le fait qu'ils répètent ces choses crée l'islamophobie», observe M. Labidi.