Trois semaines après l'attentat survenu au parlement, la sécurité est sur toutes les lèvres à Ottawa, où des élus et l'Agence des services frontaliers s'activent pour améliorer leur protection et celle de leur personnel. Au moins quatre députés fédéraux québécois envisagent d'ailleurs l'achat de caméras de surveillance pour rehausser la sécurité de leurs bureaux de circonscription, a appris La Presse. Plusieurs autres élus risquent de leur emboîter le pas.

Dans la foulée de l'attentat, le service de sécurité de la Chambre des communes leur a récemment suggéré de prendre la sécurité au sérieux. La porte-parole de la Chambre des communes, Heather Bradley, confirme l'initiative, en demeurant toutefois peu loquace sur les actions prises par les élus. «Nous sommes en train de travailler avec les députés, mais pour des raisons de sécurité, nous ne donnerons pas plus de détails», a-t-elle laissé tomber.

Cette volonté d'accroître la sécurité demeure à la discrétion des députés, qui devront puiser dans leurs budgets pour payer l'équipement, a ajouté Mme Bradley.

Mais selon nos sources, la Chambre des communes étudierait la possibilité d'assurer elle-même l'installation de caméras dans tous les bureaux de circonscription du pays.

Le jour même de la fusillade à Ottawa, le président de la Chambre des communes, Andrew Sheer, a annoncé un examen approfondi pour déterminer comment les infrastructures de sécurité sur la colline pourraient être améliorées.

Du travail à faire

Des changements s'imposent aux yeux du patron d'iMotion sécurité, Frédéric Abenaim, dont l'entreprise est actuellement sollicitée par des élus pour améliorer leurs dispositifs de surveillance. «C'était décourageant de voir la faible qualité des images provenant des caméras du parlement lors de l'attentat. Des caméras de très basse résolution par rapport aux nouvelles technologies qui offrent 13 fois plus de qualité», estime M. Abenaim. Il qualifie d'«excessivement floues» les images du tireur Michael Zehaf Bibeau diffusées par la Gendarmerie royale du Canada. Cette lacune aurait pu coûter cher dans l'éventualité où le tireur aurait survécu et fait l'objet d'un avis de recherche, par exemple.

Le spécialiste en sécurité a envoyé des soumissions à quatre députés fédéraux québécois, et a entrepris des négociations avec un cinquième. «Un des clients m'a dit que les députés parlaient beaucoup de ça entre eux ces jours-ci», a indiqué M. Abenaim, dont les caméras tournent déjà dans des édifices gouvernementaux, prisons, hôpitaux, industries et dans le commerce au détail.

Les événements d'Ottawa vont peut-être faire bouger des dossiers qui accumulent la poussière depuis belle lurette, croit un autre acteur important de l'industrie de la sécurité, spécialisé dans l'installation de caméras dans des édifices gouvernementaux fédéraux. «C'est triste que ça prenne ça [l'attentat], mais c'est sûr que ces dossiers se retrouvent aujourd'hui prioritaires et que l'argent risque enfin d'être débloqué.»

Il ajoute que l'installation et la modernisation des caméras de surveillance ont été évaluées depuis longtemps. Ne manquait qu'un feu vert. «Ça a traîné à cause des politiciens», a résumé l'entrepreneur en sécurité.

Liste noire et blanche

Les élus qui ont pris contact avec iMotion sécurité souhaiteraient essentiellement améliorer la qualité de leur système de surveillance à leurs bureaux de circonscription. Des installations estimées à environ 7000$ par adresse.

Les nouvelles caméras en haute définition pourront identifier plus clairement les gens qui se rendront au bureau du député avant même qu'ils n'y pénètrent. «On peut faire des recherches d'image à partir de la reconnaissance faciale grâce à un système d'archivage intégré à nos systèmes. Une façon de savoir si un individu se présente régulièrement ou a un comportement suspect», a expliqué M. Abenaim.

Ces nouveaux outils permettront aussi de créer des listes noires et blanches virtuelles. Le président d'iMotion sécurité cite en exemple les quelque 90 individus - dont les passeports ont été saisis - considérés par les autorités canadiennes comme étant susceptibles de vouloir aller se battre aux côtés des islamistes en Irak ou en Syrie. «On pourrait prendre leurs images en mémoire et envoyer un avertissement par courriel ou texto dès que les caméras repèrent ces individus. Dans le cas contraire, la reconnaissance faciale pourrait autoriser un accès restreint à certains visages comme les élus et le personnel, exactement comme une clé.»

Impact à la douane

Outre les députés, l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) serait aussi entrée en contact il y a quelques jours avec iMotion Sécurité. «Ils ont déjà plusieurs caméras aux douanes, mais ils ont manifesté leur désir d'améliorer leur qualité», a souligné Frédéric Abenaim.

Jointe à ce sujet, l'ASFC affirme sa volonté d'améliorer sa sécurité tout en demeurant évasive sur les façons d'y arriver. «Dans un contexte de resserrement des mesures de sécurité, les voyageurs pourraient subir des temps d'attente accrus à la frontière ou faire l'objet d'examens plus poussés», a notamment fait savoir un porte-parole par courriel.

Une consigne nébuleuse, selon le président du Syndicat des douanes et de l'immigration. «Depuis deux semaines, on nous demande d'accroître notre vigilance de "faible" à "moyen", mais on n'a pas vraiment eu de directive sur ce qu'on doit faire de plus exactement», a déploré Jean-Pierre Fortin.