L'assassinat de deux militaires canadiens - survenu peu après l'appel au meurtre gratuit lancé par le mouvement État islamique - risque d'inspirer d'autres êtres perturbés aux prises avec des symptômes psychotiques ou une rage intérieure.

«Nous sommes très inquiets au sujet des gens qui pourraient vouloir imiter ce qui vient de se produire [à Saint-Jean-sur-Richelieu et à Ottawa]», affirme Kevin Cameron, directeur du Canadian Centre for Threat Assessment and Trauma Response.

«Période critique»

«C'est une période critique significative. À n'en pas douter, ces incidents accentueront les symptômes d'individus à la marge, qui se demandaient déjà s'ils allaient poser des gestes de violence», explique l'expert albertain, qui a créé le plus important programme de formation canadien en «évaluation des menaces». Son centre songeait hier à lancer une alerte nationale.

À l'institut psychiatrique Philippe-Pinel de Montréal, le personnel est aussi sur le qui-vive. «On s'assure que ce genre d'événements ne déstabilise pas les patients, ne les amène pas vers une rechute», affirme le directeur des services professionnels, Gilles Chamberland.

«Les appels à la violence parlent beaucoup, beaucoup aux gens consumés par une rage intérieure résultant de carences ou de sévices et qu'ils ne savent comment exprimer, expose le psychiatre. Soudain, elle se trouve légitimée dans une cause.»

Certains individus sont des «vaisseaux vides», confirme M. Cameron. «Ils sont déconnectés, immatures, et cherchent à se remplir par quelque chose.» Tout aussi fragiles, mais moins beaucoup nombreux, certains psychotiques sont aussi à risque. «Ce genre d'incidents peut influencer quelqu'un de fragile, qui a des fantaisies violentes ou qui entend des voix, mais qui n'osait pas agir avant de voir quelqu'un d'autre le faire», affirme le Dr Chamberland.

«Cela peut enfin aussi inspirer quelqu'un qui assume ce qu'il fait, et qui se dit que c'est le moment de frapper un grand coup pour créer la panique.»

D'après le psychiatre, tout indique que le tueur de Saint-Jean, Martin Rouleau, était en proie au délire plutôt qu'apprenti terroriste. Dans son livre sur le «mythe du martyre», le professeur de droit criminel Adam Lankford est plus englobant. Il soutient que les auteurs d'attentats suicides et les tueurs de masse ne meurent pas par esprit de sacrifice. D'après son étude de cas, il s'agit de désespérés qui ont vécu une série de malheurs et camouflent leurs instincts suicidaires.

Comme dans les écoles

Aux États-Unis, le psychologue Peter Langman compare l'histoire de 48 auteurs de tueries en milieu scolaire dans son livre School Shooters. Understanding High School, College and Adult Perpetrators, qui paraîtra en janvier. Plus de la moitié d'entre eux avaient des symptômes psychotiques, précise-t-il en entrevue. Et c'est cette catégorie de jeunes, très dysfonctionnels, qui copiaient les autres - après s'être informés obsessionnellement sur leurs massacres ou avoir fait des pèlerinages jusqu'à Columbine. 

«Ils se sentent comme des ratés, alors ils cherchent des modèles de pouvoir auxquels s'identifier, que ce soit Hitler ou d'autres tueurs d'école», analyse le psychologue.

Éviter d'autres drames

Comment prévenir d'autres drames? «Il faut rapporter les propos de quiconque semble appuyer ou vanter les gestes qui viennent d'être posés, dit Peter Langman. Des élèves qui avaient dit que des tueries étaient cool en ont commis après.»

«Trop souvent, on ne réagit pas assez vivement. Les professionnels et les familles doivent être vigilants et faire part de leurs soupçons aux gens formés pour les évaluer», renchérit Kevin Cameron.

Les individus perturbés doivent être soignés. Mais plusieurs refuseront de l'être ou s'isoleront et seront difficiles à repérer, prévient pour sa part le Dr Chamberland. «Ils ont souvent des arguments logiques pour justifier leur délire et peuvent sembler cohérents.»

Manque de preuves

Le père de Martin Rouleau avait pris soin d'alerter la police. Les autorités surveillaient le jeune homme. Elles ont tenté de le faire arrêter, sans y parvenir faute de preuves, mais lui ont retiré son passeport.

«Mais on n'a jamais pensé qu'il serait peut-être bon de le faire évaluer en psychiatrie, déplore le Dr Chamberland. Pourtant, au pire, on aurait pris une heure dans la vie de quelqu'un. Au mieux, on aurait sauvé des gens.»

Chaque année, 12 meurtres sont commis par des malades psychiatriques, précise-t-il. «C'est un meurtre par mois qui aurait pu être évité.»

Cela dit, souffrir de maladie mentale ne conduit pas forcément au crime. À peine 10% des meurtriers canadiens avaient une maladie psychiatrique. Et parmi les schizophrènes, précise le Dr Chamberland, seule une infime partie ont des fantasmes violents.