Les jurés au procès des trois membres de la famille Shafia accusés d'avoir tué quatre des leurs ont absorbé des montagnes d'éléments de preuve au cours des dix semaines de procédures, mais ils n'ont pas été mis au parfum de tous les détails.

Alors que les jurés ont amorcé leurs délibérations vendredi, les informations qui ont été dites en cour en leur absence peuvent maintenant être publiées.

La Couronne a ainsi décidé de ne pas présenter en preuve le fait que le père, Mohammad Shafia, avait sorti un couteau lors d'une bagarre avec deux des frères de son épouse lors des funérailles des victimes.

Mohammad Shafia, âgé de 58 ans, sa deuxième épouse, Tooba Yahya, âgée de 42 ans, et leur fils Hamed, âgé de 21 ans, ont tous trois plaidé non coupable à quatre accusations de meurtre prémédité. Ils sont accusés d'avoir tué trois adolescentes de la famille - Zainab, Sahar et Geeti, âgées de 19, 17 et 13 ans -, de même que la première femme de Mohammed Shafia, Rona Amir Mohammad, âgée de 52 ans. Les corps des quatre femmes ont été retrouvés le 30 juin 2009 dans une voiture submergée dans une écluse du canal Rideau à Kingston, en Ontario.

Certains membres de la famille Shafia ont témoigné pour la Couronne pendant le procès, alléguant avoir entendu Mohammad Shafia menacer de tuer sa fille Zainab, tandis que d'autres ont été appelés à la barre par la défense, soutenant que la famille était innocente. Mohammad Shafia et Tooba Yahya ont tous deux témoigné dans leur procès, et la mère a effleuré le sujet de la bagarre pendant son témoignage, en faisant allusion au moment où son frère s'était «jeté» sur son époux pour tenter de le frapper.

Le procureur de la Couronne Gerard Laarhuis l'avait alors interrompue, suggérant aux jurés de se retirer un instant de la salle d'audience. Me Laarhuis a expliqué après leur départ que Tooba Yahya avait commencé à parler d'un élément qu'ils avaient convenu ne pas aborder pendant le procès.

Me Laarhuis a expliqué au juge Robert Maranger qu'au moment des funérailles, Mohammad Shafia avait sorti un couteau pendant un affrontement avec deux des frères de Tooba Yahya. «Nous nous sommes entendus sur le fait que cela n'était pas pertinent dans les procédures en cours, et que sa nature préjudiciable outrepassait sa valeur probante», avait-il déclaré.

Le jury n'est pas plus au courant de l'interdiction pour les accusés - qui étaient assis côte à côte tout au long du procès - de communiquer entre eux. Le juge Maranger a toutefois levé cette interdiction le 17 janvier, en l'absence du jury. Les témoignages de Mohammad Shafia et de Tooba Yahya étaient terminés, et il ne faisait aucun doute que Hamed ne serait pas appelé à son tour à la barre.

Juste avant la pause du temps des Fêtes, le 14 décembre, tout portait à croire que Hamed témoignerait. Son avocat, Patrick McCann, avait indiqué au juge Maranger, une fois les jurés sortis, son intention de le faire témoigner. On ignore ce qui a incité la défense à revenir sur sa décision entre ce moment et la fin du contre-interrogatoire serré de Tooba Yahya, qui s'est échelonné sur cinq jours.

Les jurés ne savent pas non plus que le juge avait interdit aux accusés de communiquer avec les autres enfants de la famille. L'un des fils, qui a témoigné pour la défense, n'avait pas vu ses parents et son frère depuis le 21 juillet 2009, veille de leur arrestation.

Le juge Maranger a levé cette ordonnance le 14 décembre, après le témoignage du fils, et après que la Couronne eut reconnu que le risque d'influencer les témoins ne tenait plus.

L'avocat de Mohammad Shafia, Peter Kemp, avait fait savoir qu'il avait l'intention de faire témoigner le fils et une autre fille Shafia. Il est toutefois devenu évident, entre son indication du 9 décembre et la semaine suivante - après deux jours de contre-interrogatoire ardu pour ce fils -, que la soeur ne serait pas appelée à la barre.

Elle est toutefois apparue au tribunal au dernier jour du contre-interrogatoire de sa mère. Le 16 janvier, la jeune femme s'était précipitée dans la salle d'audience au moment où les jurés quittaient pour une pause, en larmes et pressant ses lèvres contre la vitre du box des accusés. Mohammad Shafia a alors fait le même geste, et le jury a été témoin de cette scène mais ignore l'identité de cette jeune femme.

Une fois les jurés sortis, un gardien de sécurité du tribunal lui a intimé l'ordre de ne plus s'approcher du box, surtout en présence du jury. Elle s'est assise sur un siège et n'a pas retenu ses sanglots, bien que ses yeux étaient secs quelques minutes plus tard lorsqu'elle s'est levée.

Le jury ne sait pas non plus que les accusés n'avaient pas le droit de parler à Moosa Hadi, un étudiant en génie qui devait d'abord servir d'interprète et qui s'est transformé en détective privé.

Inscrit à l'université Queen's à Kingston, Moosa Hadi avait entendu parler des Shafia après leur arrestation, et il avait offert de servir d'interprète aux coaccusés et à leurs avocats, étant lui-même originaire d'Afghanistan.

Shafia l'a ensuite engagé comme détective privé, et Moosa Hadi est devenu persuadé que la famille était innocente après avoir mené sa propre enquête. Il a pu consulter tout le dossier de la poursuite remis aux avocats, et a enregistré une conversation qu'il a eue avec Hamed, alors âgé de 18 ans, sur le «vrai» déroulement des événements, quatre mois après son arrestation.

Hamed y soutient qu'il se trouvait au canal ce soir-là et qu'il a vu les quatre femmes plonger dans l'eau lorsque le véhicule a basculé dans l'écluse. Il affirme avoir donné un coup de klaxon de la Lexus en signe d'alerte, avant de lancer une corde à l'eau. Ne voyant aucun signe de vie dans le véhicule submergé, il a roulé d'une traite jusqu'à Montréal mais n'a rien raconté à personne. La Couronne estime que cette histoire a été «entièrement inventée».

Pendant le témoignage de Moosa Hadi pour la Couronne, le juge a fait sortir les jurés pendant que les avocats des deux parties négociaient quant à savoir si le jeune homme devrait, ou non, être interrogé à propos des conversations en dari, la langue maternelle des Shafia, et enregistrées à leur insu. Le juge Maranger a statué que la défense ne pourrait aller de l'avant avec cet élément, affirmant que Moosa Hadi était biaisé.

«Il ne fait aucun doute qu'il est un agent des accusés, a fait valoir le juge Maranger. Il a travaillé pour les accusés et continue de le faire dans son esprit. Il n'est donc absolument pas qualifié pour livrer un témoignage objectif.»

Pendant le procès, Moosa Hadi a fait parvenir des courriels à l'enquêteur principal dans l'affaire, les acheminant aussi aux avocats et aux journalistes. Il y affirme entre autres qu'il espérait pouvoir rendre compte d'une «activité criminelle» commise par Me Laarhuis dans son contre-interrogatoire de Tooba Yahya.

«Il a tenté de faire obstruction à la justice en détournant l'attention du juge et du public de ses propres activités criminelles, incluant l'emprisonnement illégal de personnes innocentes pendant deux ans et demi», a écrit Moosa Hadi.

«Lors de ce supposé «contre-interrogatoire', il a joué avec les dates et les distances dans le seul but de relever des contradictions dans le témoignage de Mme Yahya en la rendant confuse», a-t-il poursuivi.

Il s'attendait par ailleurs à ce que Mohammad Shafia et Tooba Yahya soient libérés en 2009 en raison «d'erreurs évidentes» dans la preuve policière. Le couple a été tenté par le suicide pendant la poursuite et s'ils sont toujours en vie aujourd'hui, ses efforts y sont directement liés, a-t-il soutenu.