Les parents Shafia sont innocents, et leur fils Hamed est «coupable de stupidité, mais pas responsable» de la mort de ses trois soeurs et de Rona, la première femme de son père.

C'est ce qu'a plaidé l'avocat du garçon de 21 ans, Me Patrick McCann, mercredi, à Kingston, avant de demander au jury d'acquitter son client. «Il est temps de mettre fin à cette histoire kafkaïenne qui dure depuis deux ans et demi», a conclu Me McCann après avoir répété que la théorie du crime d'honneur avancée par la Couronne est «absurde».

Hamed, accusé avec sa mère et son père de ce quadruple meurtre, est le seul des trois qui n'ait pas témoigné au procès. Me McCann, dernier des trois avocats de la défense à s'adresser aux jurés, propose de rejeter la thèse de la Couronne pour retenir plutôt l'histoire qu'Hamed a racontée en prison à Moosa Hadi en novembre 2009, quelques mois après la tragédie. «Toute la preuve de la Couronne, sauf celle d'Hamed avec Moosa Hadi, est circonstancielle», a lancé l'avocat.

La version d'Hamed

Moosa Hadi est un étudiant en génie d'origine afghane qui, après avoir pris connaissance de l'histoire dans les médias, à l'été 2009, a réussi à se faire embaucher comme interprète par l'avocat de Mohammad Shafia. M. Hadi a toutefois conclu un pacte secret avec ce dernier, à qui il a promis de faire la lumière sur cette affaire. Il a obtenu la preuve, l'a étudiée et est allé rencontrer chacun des accusés en prison.

En novembre 2009, l'enquêteur improvisé a enregistré une toute nouvelle version d'Hamed, dans laquelle le jeune homme admet s'être trouvé à l'écluse lorsque les quatre femmes de sa famille se sont noyées.

Il y soutient qu'en revenant de Niagara, vers 2 h dans la nuit du 30 juin, toute la famille s'est retrouvée au Kingston Motel East. Zaïnab a demandé les clés de la Nissan et a décidé d'aller faire une promenade en voiture. Rona, Sahar et Geeti se trouvaient dans la Nissan. Hamed a décidé de les suivre avec la Lexus de son père par mesure de sécurité.

Dans la nuit noire, les deux voitures se sont retrouvées sur le chemin des écluses. Zaïnab a freiné brusquement et Hamed a percuté l'arrière de la Nissan avec la Lexus.

Zaïnab - ou Sahar, il n'est pas sûr- a amorcé une manoeuvre avec la Nissan pour faire demi-tour. Hamed a entendu un plouf. Il a couru jusqu'à l'écluse et a constaté que la Nissan sombrait.

Il a klaxonné un coup ou deux. Personne n'est venu. Il a pris une corde dans la voiture, est retourné au bord de l'écluse et l'a lancée dans l'eau. Personne ne l'a agrippée. Craignant de se faire reprocher ce dénouement tragique, il n'a pas appelé le 911 ni ses parents et est parti à Montréal pour aller chercher son ordinateur comme prévu.

Une fois à Montréal, vers 8h le matin, il a foncé dans le parapet d'un stationnement pour simuler un accident qui expliquerait les dommages à la Lexus et a appelé la police pour qu'elle vienne constater les dégâts. Il est ensuite retourné à Kingston en prenant l'autre voiture de son père, une camionnette Pontiac.

Crainte d'être grondé

Une fois à Kingston, il n'a rien dit à ses parents au sujet de la fin tragique de ses soeurs et de Rona, de crainte de se faire gronder. Vers midi, ses parents et lui sont allés déclarer la disparition des quatre femmes à la police. Au poste, on leur a appris que la voiture avait été retrouvée quelques heures plus tôt, avec les victimes à bord.

Hamed n'a rien dit, même quand ses parents et lui ont été arrêtés et accusés de meurtre trois semaines plus tard. Il réservait cela pour le juge, a-t-il dit. Mais en novembre 2009, il a décidé de dire «la vérité» à Moosa Hadi.

Me McCann soutient que la théorie de la Couronne, selon laquelle il s'agit de meurtres déguisés en accident et commis au nom de l'honneur, ne tient pas. Il y a des failles insurmontables, dit-il. La Couronne ne sait pas où et comment les victimes ont été noyées si, comme elle le dit, elles ne se sont pas noyées par accident. Il n'y avait aucune trace de drogue dans leur sang, rappelle Me McCann. L'avocat trouve que la Couronne n'a pas réussi à prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité d'Hamed et des autres accusés.

La procureure de la Couronne Laurie Lacelle, qui a amorcé sa plaidoirie en après-midi, est d'un tout autre avis. «Les trois accusés sont les derniers à avoir vu les victimes en vie. Ils étaient les seuls sur la planète à vouloir les tuer et ils l'ont fait. Ils sont coupables de meurtre prémédité. Personne d'autre n'a eu l'occasion de le faire. Ce n'était pas un accident», a-t-elle martelé.

Selon Me Lacelle, la preuve démontre clairement que la Lexus a poussé la Nissan dans le canal. Rien que cela prouve qu'il s'agit de meurtres prémédités puisque les victimes étaient dans la Nissan. Mais il y a encore beaucoup d'autres preuves, a-t-elle dit, avant de commencer à les réviser devant le jury: les confidences de Sahar à l'école, la peur du père et de Hamed, les signalements à la DPJ, les plaintes à la police...

Me Lacelle poursuivra sur sa lancée ce matin.