Il faut tenir compte des différences culturelles et ne pas se méprendre. Quand Mohammad Shafia a traité ses filles de putains et menacé de les couper en morceaux cent fois si elles revenaient à la vie cent fois, en juillet 2009, ce n'est pas parce qu'il avait quelque chose à voir avec leur mort. C'est parce qu'il était sous le choc et qu'il était en processus de deuil.

«Il n'acceptait pas ces morts. Dans l'état de Shafie, qui avait perdu quatre membres de sa famille proche, c'était complètement normal», a raconté Anwar Yaqubi, demi-frère de Mohammad Shafia, mardi matin, alors qu'il témoignait à Kingston.

Le témoin a traversé l'océan pour se porter à la défense de son frère, qu'il n'avait pas vu depuis 18 ans. Ils ont fui Kaboul ensemble en 1992, lors de la guerre civile, ont refait leur vie dans des pays différents et ne se seraient parlé que deux ou trois fois depuis 1994.

Mohammad Shafia n'a pas téléphoné à Anwar, en juillet 2009, pour lui apprendre que ses trois filles et sa première femme avaient péri noyées dans une écluse de Kingston. M. Yaqubi dit l'avoir appris par un autre de ses frères, environ deux semaines après le drame. Mais même s'il ne l'a pas vu depuis des années, M. Yaqubi dit connaître suffisamment son frère pour savoir qu'il n'a pu tuer ses filles et sa première femme.

«On ne peut pas traiter Shafie de meurtrier. La place de mon frère n'est pas en prison», a-t-il lancé. Un peu plus tard, il a assuré que les autorités avaient mis la «mauvaise étiquette» sur un accident.

Médecin

M. Yaqubi est médecin aux Pays-Bas, et la défense l'a présenté au jury sous le nom de «docteur». L'homme a souvent répondu avec un sourire, d'un ton qui se voulait parfois condescendant. Il n'était pas appelé comme témoin expert mais, à un certain moment, il s'est mis à parler comme s'il faisait une évaluation clinique. Il a minimisé la signification des paroles extrêmement dures que Mohammad Shafia a eues à l'égard de ses filles après leur mort, en disant que cela peut faire partie du processus de deuil pour quelqu'un qui est sous le choc. Par ailleurs, selon lui, ces expressions sont couramment utilisées par les hommes en Afghanistan, quand ils sont fâchés.

«Dans la culture afghane, pour discipliner les enfants, on peut utiliser des noms. Il faut mettre des limites aux enfants, et vous devez réaliser les différences de culture», a-t-il lancé au procureur de la Couronne Gerard Laarhuis, qui le contre-interrogeait. M. Yaqubi a par ailleurs redit qu'il n'avait jamais entendu parler de crimes d'honneur auparavant.

«Savez-vous que le gouvernement des Pays-Bas (où le témoin habite depuis longtemps) a ouvert deux refuges pour les femmes victimes de crimes d'honneur? lui a demandé Me Laarhuis.

«Le monde est si grand. Il y a toutes sortes d'organisations», a rétorqué le témoin.

M. Yaqubi a fini de témoigner mardi matin, et le jury a été renvoyé tout de suite après afin que les avocats discutent avec le juge de la venue du prochain et dernier témoin, un expert.

Hamed ne témoignera pas

C'est donc dire que Hamed, accusé avec son père, Mohammad Shafia, et sa mère, Tooba Yahya, du meurtre de ses trois soeurs et de la première femme de son père, ne témoignera pas pour sa défense. Il n'aura donc pas à justifier la déclaration qu'il a faite quelques mois après le drame à Moosa Hadi, un étudiant qui avait réussi à se faire embaucher par Mohammad Shafia pour «découvrir la vérité».

Dans cette déclaration, enregistrée en prison en novembre 2009, Hamed soutient qu'il a assisté, impuissant, à la chute de la Nissan dans l'écluse, la nuit fatidique. Il conduisait la Lexus tandis que la femme et les trois jeunes filles se trouvaient dans la Nissan. De crainte qu'on l'accuse d'avoir laissé conduire Zaïnab, sa soeur aînée, qui n'avait pas de permis, il n'a pas appelé les secours et a caché le tout à ses parents.

Rappelons que Zaïnab, 19 ans, Sahar, 17 ans, Geeti, 13 ans, et Rona, 52 ans, ont été trouvées noyées dans une Nissan Sentra, le matin du 30 juin 2009, dans l'écluse de Kingston Mills. La famille de 10 personnes rentrait à Montréal après un séjour à Niagara lorsque la tragédie est survenue. La Couronne soutient que les accusés ont éliminé les trois filles parce qu'elles apportaient le déshonneur sur la famille en s'habillant trop sexy et en fréquentant des garçons. Rona, elle, songeait apparemment au divorce et aurait voulu demander de l'argent à Mohammad Shafia. Les accusés soutiennent qu'il s'agit d'un accident.