Tooba Mohammad Yahya est l'égale de son mari et a toujours participé aux décisions importantes de la famille. Elle savait donc ce qui allait arriver à trois de ses filles et à la première femme de son mari, la nuit du 30 juin 2009. Elle n'a rien fait pour les protéger et elle a même participé aux meurtres avec son mari, Mohammad Shafia, et leur fils, Hamed.

Au terme d'un contre-interrogatoire qui s'étirait depuis quatre jours, c'est ce que le procureur de la Couronne Gerard Laarhuis a tenté de démontrer, hier matin, en adressant ses dernières questions à la femme de 42 ans. Comme elle l'a fait depuis le début, elle a continué de nier avec véhémence. Elle a répété pour la 100e fois qu'elle avait été «contrainte» de mentir à l'enquêteur qui l'a interrogée le soir de son arrestation, le 22 juillet 2009, afin qu'il la laisse tranquille.

Me Laarhuis croit que cette version est la plus proche de la réalité, et il s'en est servi comme trame de fond pour son contre-interrogatoire. Cette version, qui incrimine les trois accusés, bien qu'à des degrés différents, est fausse, a martelé Tooba Yahya. Elle a souvent fait de longues réponses. Elle en a profité pour accuser le procureur Laarhuis et la police d'inventer des choses.

«C'est juste la pression qui m'a fait mentir. La torture et la pression. Vous, vous mettez une famille respectable en prison pendant deux ans et demi à cause de vos idées. Vous avez enlevé la liberté à notre famille, vous avez mis mon fils en prison. J'étais une dame, je n'avais jamais vu de poste de police de ma vie.»

Me Laarhuis l'a laissée monologuer avant de lui lancer: «Tooba, pouvez-vous répondre à la question?

- C'était la réponse, a-t-elle rétorqué du tac au tac.

- Quelle était la question?» a alors demandé le procureur.

Elle ne s'en souvenait plus.

Tooba Mohammad Yahya, son mari, Mohammad Shafia, et leur fils Hamed sont accusés d'avoir tué avec préméditation les soeurs Zaïnab, 19 ans, Sahar, 17 ans, Geeti, 13 ans, ainsi que Rona, 52 ans, première femme de Mohammad Shafia. Les quatre femmes ont été trouvées noyées dans une Nissan au fond de l'écluse de Kingston Mills, le matin du 30 juin 2009. La Couronne pense que les accusés ont tué les quatre femmes parce que, à leurs yeux, elles jetaient le déshonneur sur la famille par leurs agissements. Zaïnab et Sahar s'habillaient de façon sexy et sortaient avec des garçons alors que leurs parents le leur interdisaient. Geeti, l'adolescente de 13 ans, était rebelle et se foutait de «l'honneur et des traditions», a fait valoir Me Laarhuis.

En ce qui concerne Rona, le procureur a signalé que c'est elle qui aurait dû avoir le statut légal au Canada puisqu'elle était la première femme, alors que Tooba est la deuxième. Originaire d'Afghanistan, la famille est venue s'établir à Montréal en juin 2009. Rona est arrivée plus tard, et Mohammad Shafia la faisait passer pour sa cousine.

Ouverture d'esprit

En après-midi, hier, Mohammad Shafia a pu compter sur l'appui de sa demi-soeur et de son demi-frère, venus d'Europe pour vanter son ouverture d'esprit. Les deux ont refusé de jurer sur le Coran et préféré faire une déclaration solennelle. Farida Naybkheil est comptable et vit au Danemark avec son mari et leurs deux enfants. Anwar Yakubi est médecin spécialiste et vit aux Pays-Bas avec sa femme. Ils ont tous deux fait des mariages d'amour, non des mariages arrangés par les parents. Même s'ils ont longtemps vécu en Afghanistan, ils ont assuré qu'ils n'avaient jamais entendu parler de crimes d'honneur avant cet «incident». Ils ont tous deux assuré que Mohammad était libéral et pour l'émancipation des femmes. À Kaboul, il allait reconduire Farida à l'université et l'encourageait dans ses études.

La procureure de la Couronne Laurie Lacelle a montré deux photos à Farida Naybkheil et lui a demandé si elle les trouvait offensantes. On y voyait Sahar et Zaïnab en maillot de bain. Le témoin a répondu que ce n'était pas offensant.

«Savez-vous que votre frère a traité ses filles de putains et de salopes à cause de ces photos?

- Non», a répondu la femme, visiblement décontenancée. Elle a assuré que Mohammad n'était pas religieux à l'époque et qu'il n'avait pas ces croyances. Mais voilà, les deux témoins n'ont pas eu de contact avec Mohammad et sa famille pendant de très nombreuses années.

Juste avant la pause, hier, alors que le jury s'apprêtait à sortir de la salle, deux des enfants survivants de la famille se sont approchés du box des accusés pour saluer leurs parents. Des pleurs ont fusé des deux côtés.