Tooba Mohammad Yahya répète sans arrêt que la mort de trois de ses filles, le 30 juin 2009, l'a anéantie. Mais elle n'a jamais cherché à connaître les circonstances de leur mort ni à voir l'endroit où elles avaient péri. Au contraire, elle a caché des renseignements qui auraient pu aider les policiers dans leur enquête, notamment le fait que la famille au complet était allée trois fois aux écluses de Kingston Mills avant la tragédie.

C'est là un autre des nombreux éléments qu'a soulevés le procureur de la Couronne Gerard Laarhuis, hier, tandis qu'il poursuivait son contre-interrogatoire musclé de la femme de 42 ans. Tooba Mohammad Yahya et son mari, Mohammad Shafia, 58 ans, sont accusés d'avoir tué avec préméditation leurs trois filles ainsi que la première femme de monsieur. Leur fils aîné, Hamed, 21 ans, fait face aux mêmes accusations et est jugé avec eux. Le procès est sur les rails depuis la mi-octobre.

La Couronne soutient que les accusés ont agi pour laver l'honneur de la famille, parce que les victimes ne respectaient pas les principes islamiques. Notamment, elles fréquentaient des garçons alors qu'elles n'en avaient pas le droit et s'habillaient de manière trop sexy.

La position de leur mère à ce sujet est assez mouvante. Tantôt elle reconnaît que ses filles n'avaient pas le droit de fréquenter des garçons avant la fin de leurs études, ou avant le mariage, tantôt elle laisse entendre que ce n'était pas si grave et que les jeunes «font des erreurs». Elle n'imposait pas le voile à ses filles, mais elle rappelle qu'il est obligatoire pendant le ramadan et les prières.

«Mon devoir, a-t-elle dit, était de le leur enseigner, mais on ne doit pas forcer une personne à le faire. Les filles n'avaient pas à porter le voile pour aller à l'école.

- Vos filles résistaient au voile, a lancé Me Laarhuis.

- Non, elles ne résistaient pas», a répondu la mère.

Pas si soumise

Par ses questions, hier, Me Laarhuis a fait ressortir que Tooba Mohammad Yahya n'est pas la femme soumise qu'on pourrait croire. Dans la famille, elle se considère comme l'égale de son mari, qu'elle décrit comme un «homme bon avec une mauvaise langue». Elle connaît son homme et sait comment le mener.

«Vous auriez pu défendre vos filles? Et il n'y aurait pas eu de conséquences pour vous?», a demandé Me Laarhuis.

Elle a répondu par l'affirmative. C'est d'ailleurs pour contenir l'humeur de son mari qu'elle dit avoir caché les fameuses photos qui l'ont rendu si furieux, après la mort de ses filles. Des condoms ont aussi été trouvés dans la chambre que Sahar partageait avec Rona, première femme de Mohammad Shafia.

Dans les enregistrements réalisés par les policiers chez les accusés à partir du 18 juillet 2009, on entend l'homme maudire ses filles mortes et les traiter de putains. Sa femme a expliqué qu'il a la fâcheuse habitude de jurer pendant des jours, des mois et des années quand il est fâché. Elle dit que, pour le calmer, elle a mis les photos dans une valise noire. Le 21 juillet 2009, lorsque les policiers ont fouillé la maison, ils ont trouvé la valise. Une quarantaine de photos s'y trouvaient dans une pochette, avec le passeport de Hamed et les cartes d'embarquement du voyage qu'il avait fait à Dubaï, du 1er au 13 juin de la même année. C'est ce qui incite la Couronne à croire que les photos montrant Sahar en petite tenue et avec des garçons n'ont pas été trouvées après la mort des filles, comme le prétend la mère. Hamed les aurait plutôt apportées à Dubaï en juin 2009, pour les montrer à son père, lequel aurait vu son honneur bafoué et aurait décidé de le venger. Dans la valise, il y avait aussi 29 photos de Rona, qui n'avaient rien d'offensant.

Le père et le fils sont revenus de Dubaï le 13 juin. Une dizaine de jours plus tard, le père a acheté une Nissan Sentra d'occasion, et les 10 membres de la famille sont partis en voyage à Niagara à bord de cette voiture et de la Lexus de Mohammad Shafia. Sur le chemin du retour, dans la nuit du 30 juin, la Nissan a plongé dans l'écluse de Kingston Mills avec à son bord Zaïnab, 19 ans, Sahar, 17 ans, Geeti, 13 ans, et Rona, 52 ans.

Le contre-interrogatoire se poursuit ce matin, à Kingston.