Leurs conversations tournaient beaucoup autour de «l'honneur» en juillet 2009 après la mort de leurs trois filles, comme en témoigne la preuve d'écoute électronique. Mais des crimes d'honneur? Jamais entendu parler!

«J'en ai entendu parler seulement au  Canada, après notre arrestation. Pendant les 21 ans que j'ai vécus en Afghanistan, je n'ai jamais entendu parler d'un père ou d'une mère assez stupides pour faire ça.»

C'est l'étonnante déclaration que  Tooba Mohammad Yahya, a faite ce matin, alors qu'elle témoignait pour sa propre défense dans le procès conjoint qu'elle subit avec son mari, Mohammad Shafia, 58 ans, et leur fils aîné, Hamed, 21 ans. Les trois sont accusés d'avoir tué avec préméditation trois de leurs filles (soeurs d'Hamed), et la première épouse de Mohammad, Rona.

La Couronne allègue que les quatre malheureuses ont été froidement exécutées par noyade pour venger l'honneur de la famille. Tooba assure qu'il n'en est rien et affirme qu'elle se serait sacrifiée elle-même avant que l'on touche à ses enfants. D'ailleurs, c'est par sacrifice, et dans le but de sauver son fils Hamed, qu'elle a menti au policier qui l'a longuement interrogée après son arrestation, le soir du 22 juillet 2009, Shahen Medizadeh.

Pendant cet interrogatoire qui a duré environ sept heures, le policier répétait à Tooba qu'il savait qu'elle, son mari et Hamed étaient sur les lieux quand la Nissan avait été poussée dans le canal avec les quatre victimes à bord. Pendant des heures, Tooba a nié avoir été sur place, avant de changer sa version. Elle avait vu son fils se faire menotter par les policiers le matin, dès après leur arrestation, à Montréal.  Elle en était dévastée. Elle pensait que la police allait peut-être torturer Hamed en le trempant dans l'eau glacée.

Pour sauver Hamed, Tooba a décidé de dire au policier Medizadeh qu'elle s'était trouvée sur les lieux du drame avec son fils et son mari. Son récit était embrouillé: elle avait entendu un splash quand la voiture était tombée, et elle s'était pour ainsi dire évanouie. Le lendemain, elle avait décidé de dire la vérité au policier Medizadeh: ce qu'elle avait dit la veille était un mensonge. Elle n'était pas sur les lieux du drame, avait-elle assuré.

Comment pensait-elle sauver son fils en le plaçant sur les lieux du drame? Tooba ne l'a pas expliqué ce matin. Il faut dire que son récit est souvent déroutant et même confus.

Pendant une bonne partie de l'avant-midi, son avocat, Me David Crowe, a repassé avec elle la preuve dévastatrice d'écoute électronique.  Shafia y tient des propos absolument étonnants et méchants à l'égard de ses filles décédées.  L'explication de Tooba à ce sujet va comme suit: Son mari était complètement démoli et dépressif  après la mort de ses filles et de sa première épouse. Les quatre femmes ont été trouvées noyées au fond de l'écluse le matin du 30 juin 2009.  Il répétait que toute la famille, qui comptait dix membres,  était morte avec ces décès.  Mais le 5 juillet, un événement a changé la douleur de Mohammad en colère implacable. Cet événement, c'est la découverte de photos montrant ses deux filles aînées, Zainab et Sahar, vêtues de façon sexy, dans les bras de garçons.

À partir de ce jour, il a changé complètement, a expliqué Tooba, mardi matin. Son coeur ne saignait plus, il était rempli d'amertume. Shafia avait une fâcheuse habitude: il radotait pendant des jours, des mois et des années, à propos de choses qui ne lui plaisaient pas. C'est ainsi qu'après la découverte des photos, il a été «incapable de contrôler ses paroles.» Il jurait après ses filles mortes, les traitaient de moins que  rien, se lamentait que son honneur était bafoué, demandait au diable d'aller «chier sur leurs tombes»,  mais ses paroles ne visaient qu'à le soulager, à le calmer, a expliqué Tooba.

Il était entendu que les filles ne pouvaient avoir de petit ami avant le mariage, or les photos prouvaient qu'elles avaient trahi leurs parents. Ils étaient des parents ouverts, mais leur tâche était de montrer le droit chemin aux enfants selon les principes de l'islam. Ensuite, c'était aux enfants de décider, il ne faut pas les forcer, a raconté pudiquement Tooba. Cette dernière jure que Mohammad n'avait pas vu ces photos avant «l'accident.»

Le procès se poursuit cet après-midi avec la suite du témoignage de Tooba.