Ils ne s'étaient pas revus depuis deux ans et demi. Quand leur deuxième fils s'est assis dans le box des témoins, ce matin, au palais de justice de Kingston, Tooba a fondu en larmes et Mohammad Shafia s'est mis à pleurer lui aussi.

Appelé à témoigner pour la défense, le garçon, manifestement nerveux et impressionné, rendait de discrets sourires à sa mère, tout en regardant un peu partout dans la salle d'audience. Il a prêté serment sur le Coran, et juré de dire toute la vérité. Mais à la pause du midi, on ne l'avait pas encore entendu parler. Le jury a plutôt visionné l'enregistrement de la déclaration qu'il a donnée à la police le 21 juillet 2009, jour où lui et deux autres enfants survivants de la famille Shafia ont été retirés du domicile familial, à Saint-Léonard.  Le lendemain, la police allait arrêter leurs parents, Mohammad Shafia et Tooba Yahya, ainsi que leur frère Hamed, pour les accuser des meurtres prémédités de quatre femmes de leur famille soit leurs soeurs Zainab, Sahar et Geeti, de même que Rona, première épouse de Mohammad, que les enfants appelaient leur «tante».

Mais lors de l'interrogatoire du garçon, mené à Montréal par un enquêteur de la police de Kingston, les parents n'étaient pas encore arrêtés.  Le policier voulait savoir comment se passaient les relations dans la famille. Il voulait aussi que le garçon lui décrive en détail le fameux voyage qui avait mené les dix membres de la famille Shafia à Niagara. Il posait de nombreuses questions sur le retour de Niagara, le soir du 29 juin, et l'arrêt à Kingston, en début de nuit, qui allait coûter la vie aux trois soeurs et à Rona. Le matin du 30 juin 2009, les quatre femmes ont été trouvées noyées dans une Nissan au fond de l'écluse.

Le policier a posé beaucoup de questions avant d'abattre son jeu.

«Parce qu'on pense que tes parents et ton frère sont responsables de la mort des quatre membres de ta famille», a-t-il dit.

L'enfant n'a pas été renversé par cette déclaration.

«Si j'étais sûr à 100% qu'ils l'ont fait, je ne resterais pas à rien faire. Je le dirais. Si la vérité n'est pas connue, l'âme des défunts n'est pas en paix. Les musulmans croient ça.»

Mais l'enfant doutait beaucoup.

«Si mes parents avaient fait ça...Je suis celui qui en a fait le plus (des mauvais coups) à mes parents» a-t-il dit en laissant entendre qu'il ne comprenait pas pourquoi il aurait été épargné lui, si les parents étaient responsables de ces morts.