Touchée par le valentin qu'un élève de son école lui a envoyé en février 2008, Zainab Shafia a accepté de fréquenter le garçon. Mais même si elle était majeure, l'aînée des enfants Shafia devait absolument cacher cette relation à sa famille.

«Merci pour la belle carte de Saint-Valentin. Laisse-moi t'expliquer les règles de notre amitié. Premièrement, fais attention à mon frère. Si tu veux me parler, viens à la bibliothèque. Et si mon frère est dans les parages, fais comme si on ne se connaissait pas. Je vais venir te voir près de ta case, et on va parler si mon frère n'est pas alentour. Je ne veux absolument pas qu'il sache qu'on est amis...», a écrit Zainab dans un courriel envoyé à son valentin. C'est ce que ce dernier a expliqué, lundi, au procès du couple Shafia, Mohammad et Tooba, et de son fils aîné, Hamed, accusés d'avoir tué avec préméditation quatre membres de leur famille. Les soeurs Zainab, 19 ans, Sahar, 17 ans, et Geeti, 13 ans, de même que Rona, 53 ans, première femme de Mohammad Shafia, ont été retrouvées noyées dans une voiture dans l'écluse de Kingston Mills, le matin du 30 juin 2009.

Au cours de son témoignage, lundi, le jeune homme a raconté qu'il avait connu Zainab à l'école St-Pius X, que fréquentait aussi Hamed, frère de la jeune femme. Le valentin a été le point de départ de leur relation.

Environ un mois plus tard, Zainab a profité du fait que ses parents étaient hors du pays pour inviter le garçon à la maison, à Saint-Léonard. Elle l'a fait descendre au sous-sol, mais elle a vu son frère Hamed arriver. Elle a demandé au garçon d'aller vite se cacher dans le garage, mais Hamed l'a trouvé.

«Il m'a serré la main et il m'a dit de m'en aller. Zainab n'est plus jamais revenue à l'école», a raconté le témoin. La jeune femme a repris contact avec lui environ un an plus tard. Elle lui a confié qu'elle avait littéralement été gardée prisonnière dans la maison. Elle ne sortait de sa chambre que pour aller chercher son repas, et encore, ses parents lui jetaient des regards noirs. «Elle m'a dit qu'ils avaient mis du temps à lui pardonner», a expliqué le témoin.

En cachette

Zainab et le garçon ont recommencé à se voir en cachette au printemps 2009. Le mariage semblait la seule solution pour Zainab, qui voulait fuir la maison familiale. Le garçon l'a emmenée dans un CLSC, puis Zainab s'est retrouvée dans une maison pour femmes en difficulté. Elle y est restée deux semaines, avant que sa mère ne réussisse à la convaincre de revenir. Tooba a promis à sa fille qu'elle pourrait se marier au garçon.

Zainab est revenue et a fini par épouser le jeune homme, lors d'une brève cérémonie tenue dans une mosquée de Longueuil, en présence d'un imam. Le lendemain, la fête a eu lieu dans un restaurant. Mais le marié s'y est présenté seul, sans parenté. Tooba était aux abois. «Qu'est-ce que je vais dire à la parenté? Il n'a personne. Ils vont dire que je donne ma fille à un gars qui n'a rien», a-t-elle déploré. Hamed, lui, a essayé de trouver des gens qui auraient pu se faire passer pour les parents du marié. Finalement, la mère, Hamed et un oncle ont entraîné Zainab à l'écart et lui ont parlé pendant une vingtaine de minutes. La jeune femme est revenue en pleurs annoncer à son amoureux qu'elle ne pouvait «ruiner la réputation de sa famille de la sorte».

«J'ai respecté son choix. J'ai dit: "Je ne vais pas te forcer à te marier avec moi si tu ne veux pas"», a raconté le témoin. Le mariage a été annulé le jour même. Il suffit de dire trois fois «je te divorce en présence de l'imam», a expliqué le jeune homme.

Zainab et le garçon ont tout de même gardé contact. Ils se sont échangé des photos qu'ils avaient prises d'eux-mêmes au cours de leur relation. Ces photos ont plus tard été récupérées dans des téléphones cellulaires trouvés dans la Nissan, au fond de l'écluse. Les accusés ont toujours prétendu que l'accident était dû à la témérité de Zainab, qui avait pris la voiture sans permission et sans permis. Le témoin a assuré que la jeune femme ne conduisait pas et ne montrait aucun intérêt pour la conduite.

Pardon

Selon le témoin, après le mariage raté, Zainab a voulu se faire pardonner par son père. «Elle m'a dit: "J'ai parlé au téléphone avec mon père et je lui ai demandé pardon. Je vais aller l'accueillir à l'aéroport quand il va revenir."» Plus tard, la jeune femme a confié à son ex-amoureux que les choses avaient changé à la maison et qu'elle pourrait même travailler dans un Harvey's.

Le 2 juin 2009, Zainab a envoyé un courriel prophétique au jeune homme. «Salut mon amour, j'ai aimé ton dernier courriel... tu me manques, mais je suis très contente d'avoir réalisé mon rêve qui était de me marier avec toi. Si quelque chose devait nous arriver, comme la mort, j'aurais réalisé mon rêve avant de mourir... On a eu une incroyable histoire d'amour et je vais l'écrire en y mettant nos photos si ça ne te dérange pas. Peux-tu m'envoyer des photos de nous, je vais toujours garder ce livre... et si on se rencontre quand on sera vieux, je te donnerai ce livre... Miiiiiiiiissssssssssssssssssssssssuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuu.Ta femme et ta meilleure amie, Zainab.»

Lundi, pendant que le jeune homme témoignait, un de ses amis pleurait silencieusement dans la salle d'audience.

Le procès se poursuit ce matin avec le contre-interrogatoire de ce témoin. Une ordonnance de non-publication protège son identité jusqu'à la fin de son témoignage.