Fin limier, l'étudiant de Kingston embauché par Mohammad Shafia pour découvrir «la vérité» sur la tragédie de l'écluse savait que l'homme et sa femme étaient innocents. Mais il sentait qu'Hamed, leur fils, cachait quelque chose. Et il a vu juste. Hamed, qui avait résisté à au moins trois interrogatoires policiers, a accepté pour la première fois de révéler ce qui s'était réellement passé la nuit du 30 juin 2009, à l'écluse de Kingston Mills.

C'est cette «vérité» que le jury chargé de juger les trois Shafia, Mohammad, le père, Tooba, la mère, et Hamed, le fils, s'apprête à entendre, aujourd'hui, à Kingston. Ces derniers sont accusés d'avoir tué avec préméditation les soeurs Zainab, 19 ans, Sahar, 17 ans, Geeti, 13 ans, de même que Rona, 53 ans, première femme de Mohammad. Les quatre victimes ont été trouvées noyées dans une voiture au fond de l'écluse de Kingston Mills, le matin du 30 juin 2009. La Couronne allègue qu'elles auraient été exécutées parce qu'elles transgressaient les règles «d'honneur» de la famille.

Aujourd'hui, donc, la Couronne fera écouter l'enregistrement réalisé le 7 novembre 2009 dans une prison de Kingston, lorsque l'étudiant en ingénierie a pris la déclaration d'Hamed. Cette déclaration de même que la révision du dossier réalisée par cet étudiant, à l'automne 2009, ont été faites à l'insu de l'avocat de Mohammad Shafia, Me Peter Kemp. En fait, ce dernier a embauché l'étudiant en août comme interprète, pour pouvoir communiquer avec les accusés. L'étudiant, qui parle le farsi-dari, a ensuite conclu une entente secrète avec Mohammad Shafia pour réviser l'enquête policière. M. Shafia l'a payé 4500$ pour son travail.

Impressionné

L'étudiant, dont on doit taire l'identité pour le moment, a rencontré Mohammad Shafia en prison pour la première fois en août 2009. Il a été impressionné par l'accusé. C'était le mois du ramadan. Le quinquagénaire se plaignait de ne pas avoir de montre en prison pour savoir quand il pouvait se sustenter entre ses jeûnes et faire ses prières quotidiennes. Un homme aussi pieux et ancré dans ses convictions ne pouvait avoir tué ses propres enfants, s'est dit l'étudiant.

«Pendant qu'il [Shafia] parlait, je percevais son caractère. La manière directe avec laquelle il répondait aux questions montrait qu'il était sûr de ses croyances. Le ton de sa voix dénotait sa fermeté, il était certain de ce qu'il avançait», a expliqué l'étudiant, en novembre 2009, avant d'enregistrer la déclaration d'Hamed.

En parcourant la preuve, notamment l'écoute électronique de même que les interviews des accusés menées par les policiers, l'étudiant dit avoir découvert des erreurs d'interprétation, qui faisaient fi du contexte. Les déclarations de témoins d'origine afghane, comme celles de Fazil Javad et de Latif Hyderi, frère et oncle de Tooba, qui ont fait part de propos de Mohammad Shafia révélant qu'il voulait tuer son aînée, Zainab, lui paraissaient par ailleurs être dictées par l'animosité et la vengeance. «J'ai honte pour la police qui se sert de cela comme preuve. Est-ce qu'on a une police aussi stupide pour prendre ça comme preuve...», a pesté l'étudiant.

De la mi-août à la mi-novembre 2009, l'étudiant a régulièrement visité les accusés en prison. Il était persuadé qu'Hamed, même s'il cachait quelque chose, n'était pas le genre de garçon à commettre quatre meurtres. Il y avait certainement une explication, et il allait la trouver. Hamed lui a donné cette explication le 7 novembre 2009. Par la suite, l'étudiant a fait «son» rapport d'enquête et l'a remis à la police de Kingston. Il espérait que celle-ci reconnaîtrait ses erreurs et libérerait les accusés.

«La version d'Hamed correspond à toute la preuve», a dit l'étudiant, mardi, au jury. C'est ce que le jury verra, aujourd'hui.