La photo de Kadir Anlayisli a fait le tour du monde. On le voit, sourire aux lèvres, posant fièrement devant le café internet où il a reconnu Luka Magnotta. Mais Kadir Anlayisli ne sourit plus. Sa vie, dit-il, est un désastre depuis que le Canadien a été arrêté sous ses yeux.

«À cause de cette histoire, j'ai eu des problèmes d'argent, ma copine m'a quitté et j'ai perdu mon logement», soupire l'homme.

Encouragé par ses collègues et amis, il a un moment cru avoir gagné le gros lot. En quelques heures à peine, le Berlinois d'origine turque est passé de total inconnu à héros ayant stoppé la cavale de l'homme le plus recherché de la planète.

«Je pensais que ma vie s'améliorerait. Que j'aurais un peu d'argent et que je ne serais plus pris dans un café internet», dit-il.

Ce n'est pas arrivé.

Assis au fond du commerce où il travaille toujours, tout près de l'ordinateur qu'il a lui-même attribué à Magnotta l'an dernier, M. Anlayisli semble profondément découragé.

En 12 mois, il a accordé des dizaines d'entrevues à des journalistes du monde entier. Sa page Facebook a été inondée de centaines de demandes d'amitié. Des inconnus sont venus lui serrer la main et le prendre en photo. Il a même été recommandé par la police pour une médaille de bravoure. Soudainement: la gloire. «C'était extrême. J'étais célèbre. Tout le monde voulait me parler.»

Ça lui a coûté cher. «Ma copine, avec qui j'habitais depuis trois ans, n'en pouvait plus de toute cette attention. Elle m'a quitté», dit l'homme en s'essuyant les yeux. Depuis, il vit chez sa mère. «J'ai des problèmes d'argent et je ne gagne pas beaucoup, alors c'est difficile de trouver un logement.»

Il a d'ailleurs tenté de se faire payer pour l'entrevue qu'il nous a accordée. Devant notre refus, il a baissé les yeux. «Ce n'était qu'une blague», a-t-il soufflé.

Puis, il nous a expliqué que dans les mois qui ont suivi l'arrestation de Luka Magnotta après qu'il eut alerté la police, plusieurs médias lui ont promis des dizaines de milliers de dollars en compensation pour son témoignage. Il a touché 1500$. Son patron, qui refuse pourtant de parler aux journalistes, a gardé le reste. «Je ne sais pas combien il a eu», dit le commis.

Lors de notre passage dans son commerce de la rue Karl-Marx, ce même patron nous a demandé si nous allions le dédommager pour le temps de son employé.

Il n'est pas le seul à profiter de la notoriété de Kadir Anlayisli. Il y a quelques mois, la copine qui l'a quitté justement à cause de toute l'attention dont il faisait l'objet a tenté de vendre sur le site eBay la chaise sur laquelle s'est assis durant une heure le fugitif, le 4 juin 2012.

L'enchère est montée jusqu'à 1430$, mais le site a retiré l'objet avant qu'une vente soit conclue.

«Tout le monde a gagné quelque chose dans tout ça, sauf moi, dit l'homme, résigné. Quand je repense à cette histoire, il y a eu beaucoup plus de négatif que de positif. Je n'avais pas demandé d'être célèbre, moi. Ça m'a amené beaucoup de stress et de frustration.»

Si c'était à refaire, il donnerait beaucoup pour que Magnotta entre dans un autre café internet plutôt que dans le sien, dit-il.