Il y a un an, l'horreur. Dans une folle course contre la montre, les policiers de 190 pays se lançaient aux trousses de Luka Rocco Magnotta après le meurtre sordide d'un étudiant chinois dans un appartement de Côte-des-Neiges. Douze mois plus tard, La Presse est retournée sur les traces du fugitif en France et en Allemagne et a retrouvé les gens qui ont croisé son chemin. Des hôteliers, des commerçants, des policiers et de simples citoyens dont la vie a été marquée par le passage du Canadien. Voici leurs histoires.

«Il aurait pu nous retracer»

Étienne Clotis vit à 6000 km du Canada. Pourtant, il hésite encore à se faire photographier par peur de la vengeance de Luka Rocco Magnotta. «S'il est libéré, je vais regretter de l'avoir fait», dit-il.

Jamais le jeune Français n'oubliera le voyage en avion qui l'a ramené vers Paris après trois semaines de vacances au Québec en mai 2012. Pas plus qu'il n'oubliera le choc en apprenant qu'il avait passé sept heures assis à côté de Luka Magnotta.

«J'ai fait des cauchemars durant plusieurs mois. Je rêvais que je rentrais chez moi pour découvrir mon ami dépecé. C'était horrible», dit le photographe de 25 ans.

Le jeune homme et son amoureux occupaient les sièges 33 B et C à bord du vol TS610 d'Air Transat. Magnotta s'était fait attribuer le 33 A.

«Il est monté le dernier. Quand je l'ai vu arriver, j'ai su qu'il s'en venait à côté de moi. L'avion était bondé et c'était la seule place encore libre. Il s'est planté devant nous sans rien dire et on s'est levé», raconte Étienne Clotis.

Nous l'avons rencontré en avril dans son appartement d'Aix-en-Provence.

Le jeune homme n'aime plus parler de cette histoire. Il a hésité avant d'accepter une entrevue, encore plus avant de se faire photographier. «Avant, j'aurais dit non. J'avais encore trop peur.»

Il se souvient parfaitement du visage androgyne de l'homme qui s'est glissé dans le siège adjacent au sien, il y aura bientôt un an. Encore plus de son odeur.

«Il sentait très, très mauvais. Une odeur de transpiration et de saleté. Comme quelqu'un qui ne s'est pas lavé.»

Luka Magnotta n'a pratiquement pas parlé durant le vol. «Il était contre le hublot, le visage caché par son capuchon, raconte le photographe.

«À la fin du voyage, il est allé se cacher au fond de l'avion et il a pleuré.»

Sur le coup, le jeune passager n'a pas accordé trop d'attention à son étrange voisin. C'est quelques jours plus tard qu'il a compris.

«À la télé, on disait qu'un Canadien était recherché. Il y avait sa photo. Ça a attiré mon attention. Je l'ai tout de suite reconnu. Il n'avait pas la même couleur de cheveux que dans l'avion, mais c'était lui. J'en étais sûr.»

Les autorités demandaient l'aide du public; M. Clotis a communiqué avec la police. Après un entretien de quatre heures, les agents ont confirmé ses soupçons. C'était bel et bien à côté de cet homme accusé d'un meurtre particulièrement sordide qu'il avait voyagé toute une nuit. Le choc a été brutal.

Son amoureux, qui était alors seul dans leur logement de Paris, a été si effrayé qu'il a pris le premier train pour le rejoindre à Aix.

«Magnotta aurait pu voir notre adresse sur nos sacs à bord de l'avion. Il aurait pu nous retracer.»

Une idée qui a longtemps hanté le jeune homme. Tout comme cette petite voix qui, encore aujourd'hui, lui chuchote à l'oreille qu'il est passé bien près de devenir lui-même une proie. «C'est étrange que ce soit un couple d'homosexuels qui ait été assis à côté de lui. On avait pas mal de raisons de sympathiser, note Étienne Clotis. En plus, je pense qu'il cherchait un endroit où dormir. Du coup, il y a plein de choses qui auraient pu arriver. Je suis content d'avoir été trop fatigué pour socialiser.»

Photo Olivier Jean, La Presse

Étienne Clotis