Les procureurs qui ont réussi à convaincre le jury de mettre Guy Turcotte derrière les barreaux sortent du procès satisfaits du verdict, qui couronne 30 ans de carrière pour l'un d'entre eux.

« C'est le procès le plus médiatisé que j'ai fait. Le plus long aussi », a dit Me René Verret, en entrevue avec La Presse.

« On était conscients qu'il y avait une certaine pression sociale. Mais avant toute chose, on avait un travail à faire. On a mis beaucoup d'accent sur la préparation. »

« Ç'a été une opportunité extraordinaire », a-t-il ajouté.

Considéré comme un spécialiste des procès aux assises - une science qu'il enseigne, d'ailleurs -, Me Verret a plaidé devant une vingtaine de jurys. « J'ai de l'expérience dans le domaine », s'est-il limité à dire, refusant de se mettre de l'avant.

Pendant le procès, il était manifestement bien préparé. Ses interrogatoires et contre-interrogatoires étaient ciblés, percutants. Me Verret a une voix forte, qui porte. Ses mots sont clairs, précis, choisis.

Samedi, quand le jury a demandé des précisions sur la non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, Me Verret, de même que sa collègue Maria Albanese, ont eu la frousse. C'était visible.

« On n'a jamais cessé d'y croire », a pourtant assuré le principal intéressé. « On a toujours gardé confiance. »

Convaincre hors de tout doute raisonnable

Me Albanese a admis avoir réfléchi « au comment du pourquoi » cette question avait été posée. « On se pose toujours plein de questions. Mais de là à dire qu'on a eu chaud... » Elle a assuré être restée elle aussi confiante.

« On est très contents » du verdict, a-t-elle ajouté.

En entrevue, elle a tenu à souligner son travail d'équipe avec Me Verret.

Pendant le procès, les deux avocats se consultaient souvent. C'est elle qui a fait le résumé de la cause, au tout début du procès. « Notre rôle est de vous convaincre hors de tout doute raisonnable », avait-elle alors dit aux jurés. On peut dire que c'est mission accomplie.

Les avocats de la défense, Mes Pierre et Guy Poupart, n'ont pas voulu commenter le verdict.

Des réactions

L'affaire Guy Turcotte a marqué les esprits et suscité un vif débat public depuis 2009. Le verdict d'hier n'a pas fait exception à la règle.

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« Il faut saluer le jury pour le travail difficile qu'il a accompli avec responsabilité. Ce verdict est tout de même pour moi un compromis en lieu et place d'un verdict de meurtre prémédité. Ça remet tout de même en question l'usage de l'expertise psychiatrique dans un procès au criminel. Il y a encore trop de «magasinage» d'expertise qui discrédite la justice au Québec. [...] »

 - Pierre-Hugues Boisvenu, sénateur, sur Facebook

« Le verdict est compatible avec le consensus médical sur le trouble d'adaptation et le fait qu'il n'engendre pas de perte de contact avec la réalité, ni d'altération sévère du jugement au point de ne pas pouvoir distinguer le bien du mal. »

 - Marie-Ève Cotton, psychiatre et auteure de critiques envers des témoins-experts de la défense

« Je n'ai pas tellement été surpris par le verdict. Il y a toute l'atmosphère qui entre en ligne de compte ; entre les deux procès, il y a eu beaucoup d'expressions de la part de l'opinion publique contre les intérêts de M. Turcotte. N'oublions pas que les jurés qui ont été sélectionnés viennent de l'opinion publique. [...] C'est difficile de croire que quelqu'un puisse se nettoyer le cerveau complètement. »

 - Me Jean-Claude Hébert, avocat de la défense

« Il n'y avait que Pierre Poupart pour prendre le bâton de pèlerin dans cette cause-là. Il veut sauver l'homme. Son frère Guy est de la même trempe. J'ai beaucoup d'admiration pour eux. »

 - Me Normand Bibeau, avocat de la défense

« Le jury n'a pas fait de recommandations sur la peine. Le 18 décembre, quand ce sera débattu, la Couronne fera certainement valoir des facteurs aggravants pour demander plus que le minimum de 10 ans [avant d'être admissible à une libération conditionnelle]. »

 - Me Robert Bellefeuille, avocat de la défense

Chronologie judiciaire

21 février 2009

Découverte du drame. Olivier et Anne-Sophie ont été tués dans leur lit, dans la maison que leur père loue, à Piedmont. Guy Turcotte est arrêté, dissimulé sous son propre lit. Il a bu du lave-glace pour se suicider, est traité, survit et est accusé de meurtres prémédités.

12 avril 2011

Début du premier procès. M. Turcotte admet avoir causé la mort de ses enfants, mais présente une défense de non-responsabilité criminelle.

5 juillet 2011

Verdict de non-responsabilité criminelle rendu par le jury. M. Turcotte est transféré de la prison à l'Institut Philippe-Pinel. Après évaluation, la Couronne décide de faire appel du verdict.

5 juin 2012

La commission des troubles mentaux accorde des permissions de sortie à M. Turcotte.

12 décembre 2012

Guy Turcotte est libéré de l'Institut Philippe-Pinel. Il a quelques conditions à respecter.

30 septembre 2013

L'appel de la Couronne est entendu en Cour d'appel, qui prend l'affaire en délibéré.

13 novembre 2013

La Cour d'appel ordonne un nouveau procès, au motif qu'il y a eu une erreur de droit dans les directives au jury. Guy Turcotte se livre de lui-même et est réincarcéré. Il sombre dans la dépression et est transféré à l'Institut Philippe-Pinel, où il est traité et mis sous médication.

Janvier 2014

La défense s'adresse à la Cour suprême, dans l'espoir d'éviter le nouveau procès, ou à tout le moins, de réduire les accusations.

20 mars 2014

La Cour suprême refuse d'entendre le pourvoi de Guy Turcotte.

Mai 2014

Guy Turcotte va mieux et il est transféré à la prison de Rivière-des-Prairies.

3 septembre 2014

Guy Turcotte se présente devant le juge André Vincent, de la Cour supérieure, dans l'espoir d'être remis en liberté en attendant son second procès. Le juge prend l'affaire en délibéré.

13 septembre 2014

Le juge Vincent accorde la liberté à M. Turcotte, qui doit se conformer à plusieurs conditions.

14 septembre 2015

Début du second procès, avec le processus du choix du jury.

30 novembre 2015

Début du délibéré au second procès.

6 décembre 2015

Verdict de meurtres non prémédités rendu par le jury. 

- Christiane Desjardins