Le retour de l'affaire Guy Turcotte devant la justice, cette fois en Cour d'appel, est un nouveau plongeon dans de douloureux souvenirs pour Isabelle Gaston et les proches des petites victimes, Anne-Sophie et Olivier. En croisade pour une réforme du système judiciaire, surtout du travail des experts médicaux qui témoignent dans les procès, Isabelle Gaston a de grandes attentes envers les trois juges qui entendront l'affaire. Ses réflexions sur le sujet.

«Réparer l'injustice»

«Je souhaite qu'un nouveau procès soit ordonné. Même si l'énergie que nécessitera pour nous un nouveau procès est énorme, pour la famille et les intervenants. [...] Ça rouvre les plaies, on allait mieux, mais cette semaine, ma mère est plus en colère, je dors moins bien. Personne ne souhaite retourner à procès. Mais s'il n'y en avait pas, on va traîner cette colère toute notre vie. [...] Une grave injustice doit être réparée. Deux enfants ont été tués. Il y a une grave erreur dans ce verdict. Je me sens comme si le système avait failli. L'appel sera l'occasion de voir si le système peut rattraper son erreur. Notre droit applique des règles. Il ne recherche pas tant la vérité pour juger d'une situation, et l'exposé des faits dans une cause peut être très épuré. La cause s'étire plutôt sur des [formalités]. Mais la machine aurait besoin de revenir à la base. Cette fois, j'aimerais que la priorité soit accordée à mes enfants. [...] Je déplore, par contre, que les victimes ne puissent être entendues à cette étape [la Cour d'appel] du processus judiciaire.»

L'élément déterminant

«Notre argument le plus important, c'est qu'à la base, un individu qui commet un suicide ou veut le commettre en prenant un produit doit être tenu responsable des gestes qui en découlent si son intoxication est volontaire. Quand [Turcotte] a pris le méthanol, il était conscient que le but était de mourir. C'était son but. Il ne peut pas nier qu'il connaît l'effet du méthanol, on apprend ces informations-là en médecine générale et notre fille en avait pris par accident et on s'était renseignés. Il ne peut pas nier qu'il avait toutes ces connaissances-là. Le récent arrêt Bouchard-Lebrun de la Cour suprême stipule que lorsque l'intoxication est volontaire, on devrait être tenu responsable de ce qui s'ensuit. Il ne peut donc invoquer son intoxication.»

Le rôle des psychiatres

«Comment les psychiatres experts des deux parties entendus au procès ont-ils pu en arriver à des écarts aussi importants sur l'état mental de Guy Turcotte? Il y a un problème avec l'expertise médicale devant les tribunaux. J'ai déposé un mémoire au Collège des médecins sur des solutions à envisager pour réformer la pratique. L'expertise médicale, c'est un acte médical au même titre que la pose d'un drain thoracique pour un urgentologue. Si j'en pose un et que j'atteins le coeur ou le foie du patient, il va y avoir une plainte au syndic, et on va évaluer mon travail. L'opinion d'un expert ne peut pas être contestable parce que, justement, c'est un expert. Le Collège a le devoir de se pencher là-dessus. C'est assez payant, la médecine d'expertise. Il va falloir créer un mécanisme qui permet une révision par les pairs du travail des experts. Il va falloir qu'on arrête de dire que la psychiatrie est une science inexacte. C'est un peu vrai, mais il y a des méthodes. La solution, ça pourrait être un seul expert par cause, qui témoigne pour la Cour et non une partie. Ou que les experts des parties puissent débattre ensemble devant la Cour. Cette bataille, je la fais parce que j'y crois. Il va falloir que quelqu'un se lève de bonne heure pour me convaincre que j'ai tort. [...] Le système judiciaire est très bon, mais la machine a besoin de fine tuning. [Si je crois] encore au système de justice après ce qui m'est arrivé, c'est que j'ai la foi.»

Groupe de travail sur la médecine d'expertise

Admettant que la médecine d'expertise pose problème, le Collège des médecins a créé à la fin de juillet, sans tambour ni trompette, un groupe de travail sur la médecine d'expertise. Formé de cinq médecins et de quatre avocats, il aura pour mission de livrer en mai 2014 un rapport qui devra «proposer une méthode d'évaluation de la qualité d'une expertise ainsi que de l'exercice de la médecine d'expertise, proposer des critères d'identification d'un médecin expert ainsi que ceux relatifs au maintien de ses compétences, proposer un cadre optimal d'utilisation des médecins experts devant les tribunaux [et] définir le cadre dans lequel l'expertise doit se tenir», lit-on sur le site web du Collège. Le précédent guide en la matière datait de 2006.

«Le Collège des médecins note également un nombre croissant de demandes d'enquêtes liées à ce sujet au cours des derniers mois, voire des dernières années. Le plus souvent, les personnes soumises à une expertise font état de la discordance entre l'opinion émise par le médecin expert dans son rapport et celle de leur médecin traitant», écrivait à ce sujet le Dr Charles Bernard, PDG du Collège des médecins, dans son éditorial de la dernière édition du magazine Le Collège.

De l'exercice 2008-2009 à celui de 2012-2013, le nombre de demandes d'enquêtes relatives au travail de médecins experts auprès du syndic du Collège est passé de 83 à 115. «Ce n'est pas le cas de Guy Turcotte qui nous incite à revoir le guide d'exercice, mais la hausse de l'insatisfaction du public et la hausse du nombre de médecins voulant agir à titre d'expert», précise Leslie Labranche, porte-parole de l'organisation.