Après huit semaines intenses, les parties ont déclaré leur preuve close, vendredi après-midi, au procès de Guy Turcotte, accusé du meurtre prémédité de ses deux enfants, Olivier, 5 ans, et Anne-Sophie, 3 ans.

La dernière portion de la preuve a été consacrée à ce qu'on a appelé le «coeur» du procès, c'est-à-dire les témoignages d'experts qui devaient se prononcer sur la responsabilité mentale de l'accusé au moment des crimes. Sans surprise, le résultat est partagé.

Les quatre psychiatres entendus s'accordent sur le diagnostic de trouble de l'adaptation avec anxiété et humeur dépressive. Mais ils ne s'entendent pas sur la responsabilité mentale de M. Turcotte. Évidemment, les psychiatres retenus par la défense, les Drs Dominique Bourget et Roch-Hugo Bouchard, sont d'avis que, en raison de sa maladie mentale, M. Turcotte n'avait pas la capacité d'apprécier la nature et les conséquences de ses gestes quand il a poignardé ses enfants, le 20 février 2009. Le Dr Sylvain Faucher, retenu par la Couronne, arrive à la conclusion contraire. Selon lui, il était conscient de ses gestes et pouvait en apprécier la portée. C'est le jury qui devra trancher.

Il est à noter que l'un des psychiatres appelés à la barre cette semaine, le Dr Jacques Talbot, n'a pas eu à se prononcer sur la responsabilité criminelle de M. Turcotte, puisqu'il était son médecin traitant. La Couronne l'a fait témoigner en contre-preuve, pour montrer dans quel état d'esprit se trouvait M. Turcotte après les événements, alors qu'il était incarcéré à l'Institut Philippe-Pinel puis à l'établissement de détention de Rivière-des-Prairies.

Le Dr Talbot, psychiatre depuis 43 ans à l'Institut Philippe-Pinel, a vu M. Turcotte cinq jours après le drame, lorsqu'il l'a accueilli dans son établissement, le 26 février 2009. M. Turcotte arrivait de l'institut Albert-Prévost après avoir transité par l'Hôtel-Dieu de Saint-Jérôme (où il travaillait lui-même comme cardiologue) et l'hôpital du Sacré-Coeur.

Lors de son arrivée à Philippe-Pinel, M. Turcotte était hautement suicidaire. Il a été placé sous étroite surveillance, dans une chambre où il était impossible de s'enlever la vie. Les employés devaient vérifier son état de visu, au moins aux 15 minutes.

Le Dr Talbot a noté que M. Turcotte était un individu «hyper-contrôlé», méticuleux, précis, avec des traits de personnalité obsessionnelle et narcissique, un net inconfort et une vulnérabilité devant ses faiblesses. Ses capacités intellectuelles et professionnelles étaient bonnes, mais il avait de la difficulté à gérer ses émotions et avait tendance à l'évitement. M. Turcotte a d'ailleurs confié au psychiatre Talbot qu'il était passé maître dans l'art de camoufler ses émotions.

M. Turcotte était grandement déprimé, il éprouvait de la colère liée à son passé et à l'infidélité de sa femme, mais pas de haine. Il a raconté que, lors de disputes avec son ex-femme, les conflits se résolvaient en 15 minutes pour elle, alors que cela restait en lui pendant 3 jours. Il s'étonnait de cela. Selon le Dr Talbot, il avait beaucoup de peine et se demandait quoi faire avec cette souffrance. Il a tenté de se suicider une nouvelle fois en novembre 2009, alors qu'il était détenu à Rivière-des-Prairies. Il a avalé une soixantaine de comprimés qu'on lui avait distribués au fil du temps et qu'il avait conservés.

Dr Faucher

L'autre expert de la Couronne appelé en contre-preuve, le Dr Sylvain Faucher, qui conclut que Guy Turcotte savait ce qu'il faisait quand il a tué ses enfants, a été ardemment questionné par la défense au cours des trois derniers jours. Me Pierre Poupart, avocat de l'accusé, a traqué une erreur dans son CV et déterré des dossiers dans lesquels le Dr Faucher avait été appelé à se prononcer à titre d'expert. Le Dr Faucher s'est aussi fait reprocher la manière dont il a évalué Guy Turcotte à l'établissement de Rivière-des-Prairies le 5 avril dernier. Il s'est servi du rapport de la psychiatre Bourget, produit pour la défense, comme outil de travail.

«J'accepte votre reproche, a répondu le Dr Faucher.

- C'est une manière de dégoupiller les questions, a rétorqué Me Poupart.

- Vous me lancez des grenades!», a renchéri le Dr Faucher.

Les parties se reverront la semaine prochaine, sans le jury, pour une conférence préplaidoiries. Les jurés, eux, ont congé pour la semaine. Le juge les a informés qu'ils seront rémunérés quand même puisque leur travail n'est pas fini. Ils reviendront le 20 juin, pour les plaidoiries. Le juge donnera ses directives le 28 juin, après quoi les jurés commenceront leurs délibérations, du moins selon le plan établi vendredi.