Que Guy Turcotte ait tué ses enfants par altruisme ou en représailles contre son ex-femme, il savait ce qu'il faisait et connaissait les tenants et aboutissants de ses actes. En conséquence, il devrait être tenu responsable des gestes qu'on lui reproche.

Voilà la conclusion à laquelle est arrivé le Dr Sylvain Faucher, expert psychiatre retenu par la Couronne pour faire contrepoids aux deux experts présentés par la défense. Le Dr Faucher a présenté ses conclusions et expliqué ses motifs au jury, hier après-midi, au procès de M. Turcotte. Accusé d'avoir tué ses deux enfants avec préméditation le 20 février 2009, l'ex-cardiologue de 39 ans a son procès depuis deux mois, au palais de justice de Saint-Jérôme.

Évaluation

Le Dr Faucher a rencontré M. Turcotte pendant trois heures et demie le 5 avril dernier, à l'établissement de détention de Rivière-des-Prairies. Il a également pris connaissance des documents liés à la cause et a assisté à presque tout le procès. Il arrive au même diagnostic que les quatre psychiatres qui se sont penchés sur le cas de M. Turcotte avant lui: l'homme souffrait d'un trouble de l'adaptation avec humeur anxieuse et dépressive au moment des faits. «Mais je n'ai jamais lu qu'un trouble de l'adaptation seul amène une non-responsabilité criminelle. Ça prend autre chose.»

Il a ajouté que, même en tenant compte de l'intoxication au méthanol (lave-glace) et de la crise suicidaire de M. Turcotte, il ne trouvait pas d'éléments qui démontrent une perte de contact avec la réalité. Au contraire, le psychiatre trouve que M. Turcotte était très conscient, avant, pendant et après les malheureux événements qui ont coûté la vie à Anne-Sophie, 3 ans, et Olivier, 5 ans.

Le Dr Faucher estime qu'il s'agit d'un «scénario d'homicide-suicide avec appels téléphoniques au contenu annonciateur et un testament verbal». Selon le récit de M. Turcotte, l'idée obsédante de se tuer lui est venue quand il s'est mis à lire les courriels que son ex-femme, Isabelle Gaston, avait échangés avec son amant, Martin Huot. Cette lecture a débuté vers 18h20, le 20 février 2009. Il venait de coucher les enfants. Or, vers 20h30, il a annulé deux rendez-vous qu'il avait le lendemain, l'un avec l'agent immobilier pour l'inspection de sa nouvelle maison, l'autre avec la voisine qui devait venir garder les enfants pendant cette inspection.

État de conscience

«Il est conscient de son environnement, du temps, du lendemain, de ses enfants. Il parle», a expliqué le Dr Faucher, avant de rappeler que M. Turcotte avait ensuite appelé sa mère et discuté près d'une heure avec elle. Il avait un amalgame de sentiments négatifs, dont certains étaient directement liés à son ex-conjointe. Ses propos ressemblaient à un testament, selon l'expert. M. Turcotte a mis fin à la conversation quand il a entendu sa mère bâiller, autre indice de son état de conscience.

M. Turcotte soutient n'avoir que des flashs du reste des événements. Il dit avoir paniqué après avoir donné le premier coup de couteau à Olivier. Il lui en a donné 26 autres et en a donné 17 à la fillette. M. Turcotte n'a pas agi par sadisme, le Dr Faucher en est convaincu. «Je propose une hypothèse pour sa panique: que ce soit pour empêcher les enfants de le trouver mort ou pour les sacrifier sur l'autel de sa colère, le penser et le faire sont deux choses très différentes. La difficulté s'est révélée beaucoup plus grande. Il a peut-être eu peur de ne pas réussir, ou c'est la colère qui l'a poussé à agir.» L'expert a indiqué que, lorsque la violence est excessive et outrepasse la nécessité, cela indique souvent la peur ou la colère.

Le psychiatre a aussi retenu que M. Turcotte était conscient quand il a été trouvé le lendemain. Il s'était caché sous le lit; il a répondu «je le sais» au policier qui l'a traité d'imbécile. À l'hôpital, il savait exactement où il se trouvait, il a reconnu ses collègues, se souvenait de leurs noms, a puisé dans ses connaissances de médecin pour tenter de gérer son cas...

Stress et désespoir

Selon le Dr Faucher, les événements tragiques découlent de l'agir désespéré d'un individu en manque de moyens pour répondre au stress qu'il vivait dans le contexte de sa séparation. Mais il s'agit tout de même d'un acte délibéré afin d'exprimer tous ses ressentiments, croit-il.

Les deux experts de la défense ont pour leur part conclu que M. Turcotte n'était pas mentalement responsable de ses actes. Hier, le Dr Jacques Talbot, psychiatre traitant de M. Turcotte après les événements, a aussi témoigné. Il a dit que M. Turcotte avait de grandes capacités intellectuelles et professionnelles mais qu'il était très démuni quand il s'agissait d'extérioriser ses émotions. Il refoulait, il avait une colère rentrée.

Le Dr Faucher poursuivra son témoignage aujourd'hui, puis la défense le contre-interrogera. Il s'agit du dernier témoin de ce procès. On abordera ensuite l'étape des plaidoiries, mais ce ne sera certainement pas avant la semaine prochaine.