Le procès du cardiologue Guy Turcotte est particulièrement éprouvant. Certains détails difficiles à supporter sont dévoilés jour après jour par notre journaliste. Nous préférons vous en avertir.

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(Saint-Jérôme) La procureure de la Couronne Claudia Carbonneau a poussé le deuxième expert psychiatre de la défense dans les câbles, lundi matin, au procès de Guy Turcotte, en lui soumettant une expertise qu'il avait rendue en 1997 dans une cause qu'elle a qualifiée de «suicide élargi». Les conclusions du psychiatre Roch-Hugo Bouchard étaient diamétralement opposées à celles qu'il a rendues la semaine dernière dans le cas de M. Turcotte.

M. Bouchard estime que M. Turcotte a commis un «suicide élargi» et qu'il n'avait pas sa raison quand il a poignardé à mort ses deux enfants, le 20 février 2009. De l'avis du Dr Bouchard, M. Turcotte n'était pas mentalement responsable de ses actes. Mais, en 1997, alors qu'il agissait à titre d'expert psychiatre pour la Couronne dans un procès semblable, à Québec, il avait conclu le contraire. L'accusé, Jacques Senez, avait étranglé sa conjointe avec une corde avant de se prendre. Il avait cependant été sauvé in extremis par quelqu'un. Le drame s'était produit dans un contexte de séparation, comme dans le cas de M. Turcotte. Le psychiatre Bouchard avait conclu que M. Senez savait ce qu'il faisait et qu'il était responsable de ses actes. Au terme du procès, l'accusé a été condamné pour meurtre prémédité.

Le lapin sort du chapeau

La procureure de la Couronne Claudia Carbonneau a sorti ce lapin de son chapeau, lundi matin. Le Dr Bouchard, directeur adjoint de l'Institut de santé mentale de Québec, ne se souvenait pas d'avoir déjà témoigné dans un cas de suicide élargi. Me Carbonneau lui a soumis un document de 57 pages en lien avec son expertise, et il s'est retiré pour le lire. Lorsqu'il est revenu devant le jury, il a fait valoir que le cas Senez était très différent du cas Turcotte et qu'il ne s'agissait pas d'un «suicide élargi».

«J'étais l'expert de la Couronne, j'étais «du bon bord», a-t-il badiné. M. Senez, je ne l'avais pas examiné, il avait refusé l'examen. Mais c'était complètement à l'opposé de M. Turcotte. C'est le yin et le yang. M. Senez avait fait 20 tentatives de suicide avant, il avait des problèmes avec la justice, il avait un trouble de la personnalité, il avait fait le projet depuis quatre mois. Il a tué cette dame avant. Ici, avec M. Turcotte, c'est l'inverse. Il a son projet suicidaire, et il l'élargit à d'autres personnes.»

Geste impulsif

M. Bouchard faisait alors allusion au fait que M. Turcotte affirme qu'il s'est vu en train de mourir empoisonné par le lave-glace, quand il a réalisé que ses enfants le trouveraient mort. C'est pour leur éviter cette découverte traumatisante qu'il a décidé de les emmener avec lui. De l'avis du Dr Bouchard, le geste était impulsif, donc non prémédité, et il résultait d'une erreur de jugement en raison d'un cerveau dérangé par la maladie mentale. Cette maladie, c'était un sévère trouble de l'adaptation avec anxiété et humeur dépressive. L'intensité était aussi grande qu'une dépression majeure, a-t-il évalué.

La procureure Carbonneau a ensuite continué de questionner le Dr Bouchard en tentant de démontrer qu'il n'avait retenu de la preuve que ce qui militait pour sa théorie, et qu'il n'avait pas tenu compte de ce qui allait en sens inverse. Le psychiatre considère que ce qu'il n'a pas retenu n'était pas significatif ou pertinent. Dans cet esprit, il n'a pas tenu compte de l'appel que l'ex-femme de M. Turcotte, Isabelle Gaston, a fait à ce dernier le 17 mai 2009, alors qu'il était incarcéré à l'Institut Philippe-Pinel. M. Turcotte a été assez rude, selon Mme Gaston. Il a dit qu'il n'avait pas eu le courage de se tuer et qu'il n'avait pas voulu qu'elle profite des assurances. Le psychiatre s'est dit peu impressionné par cet échange acrimonieux puisque le couple ne s'entendait plus depuis longtemps.

La défense a ensuite appelé à la barre deux infirmiers de l'Institut Philippe-Pinel qui se sont occupés de M. Turcotte ce fameux jour où il s'est entretenu avec Mme Gaston. Dès après, en pleurs, il a refusé son repas du midi et n'a pas voulu recevoir sa visite (son frère et une femme qui l'accompagnait). Il a aussi refusé un appel téléphonique dans la journée.

Contre-preuve

La défense arrive à la fin de sa preuve. Aujourd'hui, la Couronne entreprend de présenter sa contre-preuve, avec un psychiatre qui a évalué M. Turcotte pour le compte du ministère public.

Rappelons que Guy Turcotte, 39 ans, cardiologue de profession, est accusé du meurtre prémédité de ses enfants, Olivier, 5 ans, et Anne-Sophie, 3 ans. Le drame est survenu dans un contexte de séparation, dans la maison de Piedmont qu'il louait depuis moins d'un mois. L'ex-conjointe, Isabelle Gaston, assiste au procès chaque jour.