Le procès du cardiologue Guy Turcotte est particulièrement éprouvant. Certains détails difficiles à supporter sont dévoilés jour après jour par notre journaliste. Nous préférons vous en avertir.***

Même s'il était profondément déprimé, Guy Turcotte avait l'air de fonctionner après sa séparation, et ce, jusqu'au 20 février 2009, jour où il a tué ses enfants et bu du lave-glace pour se suicider. «C'est pour ça que les gens sont extrêmement surpris lors de suicides. Ils disent: on l'a vu hier! Et il s'est tué aujourd'hui», a expliqué le psychiatre Roch-Hugo Bouchard, jeudi au procès de Guy Turcotte.

Le Dr Bouchard, deuxième expert psychiatre retenu par la défense, répondait alors aux questions que lui posait la procureure de la Couronne Claudia Carbonneau, en contre-interrogatoire. Celle-ci trouvait manifestement que le Dr Bouchard avait accordé trop d'importance à la tristesse de M. Turcotte, et à ce qu'il a appelé «son ralentissement psycho-moteur», dans les jours précédant le drame.

Me Carbonneau a rappelé tout ce que M. Turcotte avait fait dans la semaine du 13 au 20 février 2009: il avait déménagé des biens lui appartenant, avait travaillé à l'hôpital comme d'habitude, avait fait une offre d'achat sur une maison, avait fait des arrangements en vue d'un prêt hypothécaire, était allé chercher les enfants à l'école et à la garderie, les avait gardés, il était même allé s'entraîner au gymnase très tôt le matin du drame. «Vous trouvez qu'il manquait d'énergie?», a-t-elle demandé au Dr Bouchard.

«Je n'ai pas dit qu'il était paralysé, a répondu le psychiatre, avant de donner son avis sur la surprise que cause le suicide chez les proches. Selon Dr Bouchard, la détresse de M. Turcotte ne l'a pas «couché», et c'est ça qui est malheureux. S'il s'était couché, on n'en serait pas là, a-t-il laissé entendre. C'est «ça la tristesse du déprimé. Il n'a pas changé de track. C'est l'incapacité de ne pas avoir trois ou quatre tracks. C'est la persévération...»

Un peu plus tôt, hier, le Dr Bouchard avait indiqué qu'à son avis, Guy Turcotte a commis un «suicide élargi» lorsqu'il a tué ses enfants. Il ne croit pas du tout à l'hypothèse voulant que l'accusé ait tué ses enfants pour se venger de son ex-conjointe Isabelle Gaston, et ait ensuite décidé de se suicider pour échapper aux conséquences légales et morales du meurtre de ses enfants. «Je tiens à l'affirmer: cette hypothèse n'est pas la mienne. Je vous soumets ici que la tentative de suicide de Guy Turcotte et le filicide de ses enfants constituent un événement qui fait partie du même passage à l'acte, englobé dans une même conduite et issue du même mouvement de désordre mental, autrement dit d'un suicide élargi», a-t-il noté dans son rapport.

En résumé, le Dr Bouchard se rallie à l'autre psychiatre qui a évalué M. Turcotte pour la défense (Dominique Bourget), et estime que M. Turcotte ne pouvait juger de ses actes en raison d'un trouble d'adaptation avec humeur dépressive très sévère. Il cote ses symptômes dépressifs à 42 sur 60 sur une échelle utilisée en psychiatrie (échelle MADRS). Or, le seuil de sévérité s'établit à partir d'un score de 30.

Le Dr Bouchard est directeur-adjoint à l'Institut de santé mentale de Québec. Il a surpris l'assistance, hier matin, en confiant en interrogatoire qu'il avait lui-même goûté au lave-glace récemment, sans l'avaler toutefois. Il voulait voir si c'était si mauvais, comme le soutenait M. Turcotte. Le Dr Bouchard confirme que le lave-glace ne goûte pas bon. «C'est comme prendre de l'huile de foie de morue, ça ne se prend pas comme du thé», a-t-il illustré.

Le procès fait relâche vendredi et reprendra lundi, avec la suite du contre-interrogatoire du Dr Bouchard. On amorcera alors la huitième semaine de procès de M. Turcotte. L'ex-cardiologue de 39 ans est accusé des meurtres prémédités de ses enfants. Olivier, cinq ans, et Anne-Sophie, trois ans, ont été poignardés à de multiples reprises le 20 ou 21 février 2009, dans la maison que leur père louait depuis sa séparation, à Piedmont. Le drame est survenu dans un contexte de séparation. Isabelle Gaston, mère des petites victimes, assiste au procès chaque jour.