Le procès du cardiologue Guy Turcotte est particulièrement éprouvant. Certains détails difficiles à supporter sont dévoilés jour après jour par notre journaliste. Nous préférons vous en avertir.   * * *



(Saint-Jérôme) Après avoir évalué Guy Turcotte un peu plus tôt cette année, un autre psychiatre, le Dr Roch-Hugo Bouchard, conclut lui aussi que l'accusé n'a pas agi en pleine connaissance de cause quand il a tué ses deux enfants.

«Moi, je suis d'avis que, le 20 février 2009, M. Turcotte souffrait d'un trouble mental dont l'intensité et la sévérité l'ont rendu incapable de juger de la nature de ses actes, et de savoir qu'ils étaient mauvais», a résumé M. Bouchard, mercredi, alors qu'il témoignait pour la défense au procès de M. Turcotte.

Directeur adjoint de l'Institut de santé mentale de Québec, le témoin a rencontré M. Turcotte au Centre de détention de Rivière-des-Prairies le 4 mars 2011. Il l'a fait à la demande d'une collègue et connaissance de longue date, la psychiatre Dominique Bourget. Cette dernière, qui avait réalisé un rapport sur Guy Turcotte pour la défense, voulait obtenir une deuxième opinion, une pratique courante dans le milieu, selon le Dr Bouchard. Il assure qu'il est allé rencontrer M. Turcotte «à l'aveugle», sans connaître les conclusions de la Dre Bourget.

«Triste et anxieux»

Lors de cette rencontre, qui a duré environ deux heures, le Dr Bouchard a constaté que M. Turcotte était triste et anxieux, qu'il parlait d'un ton monotone, assez «gris», mais que ses propos étaient cohérents. Il réagissait aussi de façon logique. Il y avait une corrélation entre l'humeur et les propos. Il pleurait quand c'était triste, mais pouvait sourire à l'occasion. Le Dr Bouchard avait devant lui un homme à l'aise avec les aspects techniques, par exemple dans son métier de cardiologue, mais qui avait du mal à décrire ses émotions dans ses relations affectives. M. Bouchard a vite conclu que M. Turcotte ne souffrait pas de maladie mentale comme la schizophrénie ou la maniacodépression et qu'il n'avait pas de trouble de la personnalité. Il n'avait plus d'idées suicidaires non plus. Néanmoins, en parlant avec lui, et en évaluant plus tard l'ensemble du dossier, le Dr Bouchard est parvenu à la conclusion que M. Turcotte se trouvait dans un état dépressif très profond au moment du drame.

Une spirale dépressive

Le Dr Bouchard considère qu'il y a eu une «fracture» dans la vie de M. Turcotte en décembre 2008. La relation conjugale difficile, qu'il a comparée à un «attelage de chats», a vraiment commencé à péricliter. M. Turcotte est entré dans une spirale dépressive, avec trois événements marquants: le 4 décembre 2008, il a accompagné sa conjointe, Isabelle Gaston, pour une intervention de chirurgie esthétique avec laquelle il n'était pas d'accord. Avec la convalescence de Mme Gaston, le retour au quotidien a été difficile. Le deuxième événement s'est produit à Noël, quand il s'est retrouvé seul alors que Mme Gaston était en voyage à Cuba avec les enfants. Lui ne pouvait y aller parce que, pour la première fois en six ans, il était de garde à l'Hôtel-Dieu de Saint-Jérôme, où il travaillait comme cardiologue. Le troisième événement s'est produit le soir du 31 décembre, alors que le couple Turcotte-Gaston fêtait la nouvelle année dans un établissement avec le couple Martin Huot et Patricia Giroux. M. Turcotte était déprimé, ce soir-là, car il se sentait mis de côté par sa conjointe qui, elle, semblait bien s'amuser.

Liaison

Le 15 janvier 2009, M. Turcotte a appris que Mme Gaston entretenait une liaison avec Martin Huot. Dès le 26 janvier, il a quitté le domicile familial pour s'établir dans une maison louée. Il a consulté son «coach de vie» à quelques occasions, notamment trois jours avant le drame. Ce n'était pas une ressource appropriée dans les circonstances, estime le Dr Bouchard, qui a comparé les «coachs de vie» aux rebouteux de jadis.

Le Dr Bouchard estime que, le soir du drame, M. Turcotte était fatigué, épuisé, et qu'il n'en pouvait plus. Il a lu les courriels amoureux que son ex-conjointe avait échangés avec M. Huot. Le suicide lui est apparu comme la solution. Le psychiatre croit que M. Turcotte a bu du méthanol avant de tuer les enfants et qu'il en a bu aussi après.

Le Dr Bouchard, qui a rendu son rapport le 31 mai, poursuit son témoignage ce matin, au palais de justice de Saint-Jérôme. Rappelons que M. Turcotte est accusé du meurtre prémédité de ses deux enfants, Olivier, 5 ans, et Anne-Sophie, 3 ans. Il admet les faits, mais il prétend qu'il n'avait pas toute sa tête. L'enjeu du procès est de déterminer sa responsabilité criminelle.