Le procès du cardiologue Guy Turcotte est particulièrement éprouvant. Certains détails difficiles à supporter sont dévoilés jour après jour par notre journaliste. Nous préférons vous en avertir.        

(Saint-Jérôme) En réalisant son rapport d'évaluation sur Guy Turcotte, la psychiatre Dominique Bourget n'a pas tenu compte de faits qui démontraient l'acuité de sa conscience le soir où il a tué ses enfants, le 20 février 2009.

C'est ce qu'a insinué la procureure de la Couronne, Marie-Nathalie Tremblay, hier, en amorçant son contre-interrogatoire de la Dre Bourget, témoin expert retenu par la défense pour donner son avis sur l'état mental de M. Turcotte au moment du drame.

La Dre Bourget estime que M. Turcotte était dans un état dépressif et hautement suicidaire lorsqu'il a commis son terrible geste. Sa capacité de jugement et de raisonnement était profondément perturbée du fait des «altérations de son état de conscience». De plus, il avait consommé du méthanol, un facteur supplémentaire. Mme Bourget est d'avis que M. Turcotte a agi de façon impulsive et qu'il n'avait pas pleinement conscience de ses gestes.

Me Tremblay s'est employée à faire ressortir des éléments qu'elle considère comme très significatifs et dont le rapport de Mme Bourget ne parle pas, ou qu'il situe mal dans le temps. Le soir du drame, M. Turcotte a téléphoné à une ancienne voisine qui devait garder les enfants le lendemain, pour la décommander. «Je n'aurai plus besoin de vos services», a-t-il dit avant de raccrocher rapidement.

Mme Bourget situe cet appel à 20 h. M. Turcotte l'a plutôt fait vers 20h30, juste avant ou après avoir laissé un message sur le répondeur de l'agent d'immeubles avec qui il avait rendez-vous le lendemain, aussi pour se décommander. La Dre Bourget n'en fait pas mention dans son rapport. Elle estime que cela n'a pas une importance capitale.

Vers 20h30, M. Turcotte a appelé sa mère. Ils ont parlé pendant une heure environ. Me Tremblay a fait ressortir qu'il avait parlé du fait que l'amant de sa femme avait pris sa place dans son lit et dans sa maison, du voyage pas très agréable à Whistler l'été précédent et de différentes autres choses, mais qu'il n'avait pas parlé de ses enfants. Or, Mme Bourget retient que Guy Turcotte a tué ses enfants pour qu'ils ne le trouvent pas mort le lendemain.

Me Tremblay s'est livrée au même exercice avec les verbalisations et l'attitude de M. Turcotte au lendemain du drame. Après avoir découvert les petits corps des victimes dans leurs chambres, un policier a trouvé Guy Turcotte caché sous son propre lit. «Tu es un imbécile», s'est exclamé le policier, ce à quoi M. Turcotte a répondu: «Je le sais.» Cela démontre, estime Me Tremblay, que M. Turcotte était très conscient. La psychiatre a indiqué qu'elle n'avait pas mis beaucoup de «citations» dans son rapport parce qu'il s'agissait d'un portrait général.

Transporté à l'Hôtel-Dieu de Saint-Jérôme, M. Turcotte a parlementé avec le personnel pour obtenir les résultats de ses tests sanguins. Il était orienté dans les trois sphères. La psychiatre a peu parlé de cette hospitalisation, sinon pour dire que M. Turcotte était somnolent, qu'il disait s'appeler Isabelle Bolduc, qu'il disait avoir tué ses enfants et qu'on devait le laisser mourir, car il était un criminel. La Dre Bourget a fait valoir que M. Turcotte était «au courant» de ce qu'il avait fait, ce qui ne veut pas dire qu'il le réalisait. Par ailleurs, M. Turcotte n'a pour ainsi dire pas de souvenir de cette hospitalisation.

Un peu plus tôt dans la journée, hier, Mme Bourget avait parlé de statistiques qu'elle a compilées dans le cadre d'une étude sur les parents qui tuent leurs enfants. Dans 60% des cas, il s'agit du père et, dans 40%, de la mère.

De 1991 à 2001, 60 pères ont tué leurs enfants, pour un total de 77 victimes. De ces 60 pères, 49 avaient une maladie mentale (dépression ou autre). Une autre partie, 25%, avaient tué leurs enfants en les secouant ou en les battant, ce qui entre dans la catégorie des «abus fatals». Seulement 1 père parmi les 60 a agi par vengeance, a soutenu Mme Bourget. Dans le cas de Guy Turcotte, la théorie de la Couronne veut que l'accusé ait agi par vengeance envers son ex-conjointe, Isabelle Gaston.

Le procès se poursuit aujourd'hui. Rappelons que Guy Turcotte est accusé du meurtre prémédité de ses enfants, Olivier, 5 ans, et Anne-Sophie, 3 ans, qu'il a poignardés à de multiples reprises. Il admet les faits; le procès vise à déterminer son état mental au moment des meurtres pour évaluer sa responsabilité criminelle.