Le gouvernement Legault et le ministère de l’Éducation disent « suivre les recommandations des experts » pour la qualité de l’air dans les écoles. Mais la norme de 1500 ppm de CO2 adoptée pour prévenir la propagation de la COVID-19 dans les écoles n’a pas été approuvée par le comité consultatif d’experts. Ce dernier a plutôt recommandé un seuil maximal de 1000 ppm, a appris La Presse.

Pour justifier sa norme de 1500 parties par million (ppm) afin de faire des travaux dans les classes, le ministère de l’Éducation dit se baser notamment sur une étude de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) et sur une norme d’une association mondiale d’ingénieurs pour les services dans les édifices (la Chartered Institution of Building Services Engineers, ou CIBSE). Or, la CIBSE recommande une norme de 800 ppm en période de pandémie. Et l’étude de l’INSPQ indique que 1000 ppm est la principale norme à travers le monde pour réduire la propagation de la COVID-19.

Cette distinction entre 1000 et 1500 ppm est importante en pratique : 18,5 % des classes dans les écoles du Québec avaient une concentration moyenne entre 1000 et 1500 ppm durant la semaine du 25 avril, contre 23,2 % un mois plus tôt, selon les plus récentes données rendues publiques par le ministère de l’Éducation du Québec. En comparaison, 2,4 % des classes du Québec présentaient une concentration supérieure à 1500 ppm.

Le ministre de l’Éducation du Québec, Jean-François Roberge, a décliné notre demande d’entrevue.

« On suit les recommandations des experts, a indiqué par courriel le cabinet du ministre Roberge. Le ministère, dans son guide, vise que la concentration moyenne quotidienne de CO2 reste inférieure à 1000 ppm, mais considère qu’une concentration moyenne inférieure à 1500 ppm dénote une bonne ventilation. […] On aura investi près d’un demi-milliard en travaux touchant la qualité de l’air. […] Plus de 96 % des classes ont un taux de CO2 inférieur à 1500 ppm. Selon nos experts, c’est une bonne nouvelle. »

Le comité a recommandé 1000 ppm

Deux membres, qui ne travaillent pas pour le gouvernement, du comité de six experts ont confirmé que le comité avait recommandé une norme maximale de 1000 ppm de CO2.

« 1000 ppm ou moins, c’est la recommandation qu’on a donnée. […] C’est ça, l’objectif », dit Ali Bahloul, chercheur en prévention à l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) et membre du comité.

« Je ne déchire pas ma chemise [pour 1500 ppm]. Mais la norme à atteindre, ce qu’on devrait viser, c’est 1000 ppm », dit le DStéphane Perron, médecin spécialisé en santé publique à l’INSPQ et membre du comité.

Le ministère de l’Éducation estime avoir suivi les recommandations du comité d’experts en se dotant d’une « cible » de 1000 ppm.

De 1000 à 1500 ppm, le ministère de l’Éducation demande aux écoles d’ouvrir les fenêtres et les portes. S’il y a un système de ventilation, les écoles doivent aussi vérifier ce système. Mais entre 1000 et 1500 ppm, Québec ne demande pas aux écoles de lui signaler ces problèmes afin de réaliser des travaux ou de faire installer un échangeur d’air fourni par Québec.

Depuis le début de la COVID-19, le ministère de l’Éducation a livré 1132 échangeurs d’air aux écoles, dont environ 650 depuis février 2022. Un échangeur d’air coûte environ 2000 $.

La Santé publique a-t-elle approuvé les 1500 ppm ?

La Direction nationale de santé publique du Québec a-t-elle approuvé la norme de 1500 ppm dans les écoles du ministère de l’Éducation ?

« Oui, par le biais du comité [consultatif] », indique par courriel le ministère de l’Éducation.

La Santé publique ne tient pas exactement le même discours. « La Direction nationale de santé publique n’a pas fixé de seuils [de CO2] » dans les écoles, indique par courriel le ministère de la Santé.

Selon le ministère de la Santé, la Santé publique a seulement recommandé de respecter les « exigences de renouvellement d’air par heure » précisées dans la Loi sur la santé et la sécurité du travail.

Le Directeur national de santé publique du Québec par intérim, le DLuc Boileau, n’a pas donné suite à la demande d’entrevue de La Presse.

L’étude de l’INSPQ et la norme de la CIBSE

Aux États-Unis, les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) recommandent une concentration de CO2 inférieure à 800 ppm. En France, la Santé publique et le ministère de l’Éducation demandent aussi moins de 800 ppm. L’Allemagne recommande moins de 1000 ppm, tout comme le European Centre for Disease Prevention and Control.

Québec a plutôt choisi la norme de 1500 ppm au-delà de laquelle des travaux sont entrepris pour améliorer la qualité de l’air dans les écoles. La Grande-Bretagne utilise aussi cette norme.

Pour choisir 1500 ppm, le ministère de l’Éducation du Québec indique s’être basé sur une étude de l’INSPQ, une norme allemande et la norme internationale de la CIBSE. Selon Québec, les deux dernières normes « indiquent que 1500 ppm est le seuil au-dessus duquel on peut conclure à une ventilation insuffisante des lieux ».

Selon l’étude de l’INSPQ, la CIBSE estime en effet que plus de 1500 ppm correspondent en temps normal « à une ventilation insuffisante des lieux ». Mais en période de pandémie, la CIBSE recommande plutôt un seuil de CO2 inférieur à 800 ppm, note l’INSPQ.

Dans son étude publiée en juin 2021, l’INSPQ fait une revue des différentes normes de CO2 pour prévenir la propagation aérienne de la COVID-19. L’INSPQ ne recommande pas un seuil maximal, mais note que la grande majorité des normes sont entre 1000 et 1200 ppm. « La plupart des normes sont à 1000 ppm », confirme le DStéphane Perron, de l’INSPQ.

Le DPerron et le chercheur Ali Bahloul tiennent à préciser que le rôle du comité consultatif est de recommander un seuil maximal, et non de décider à quel rythme les travaux sur la qualité de l’air doivent se faire dans les écoles. « La gestion [du parc immobilier], ça relève du ministère de l’Éducation », dit le DPerron. « On sait qu’il y a des écoles vieillissantes. Il revient au ministre de l’Éducation de regarder les priorités d’entretien. »

Avec un budget limité, le DPerron est d’avis que le ministère de l’Éducation « a l’approche correcte » en priorisant les classes avec un seuil supérieur à 2000 ppm, puis celles avec un seuil entre 1500 et 2000 ppm.

Il fait aussi valoir que Québec est « très transparent » en publiant les données de CO2 dans les écoles. « Ailleurs dans le monde, on ne voit pas ça, dit le DPerron. Aux États-Unis et en Allemagne, les classes sont loin d’atteindre les normes [de 1000 ppm]. »

Le ministère de l’Éducation dit respecter les avis des experts parce que sa « cible » est de 1000 ppm. « Les seuils de 1500 et 2000 ne constituent pas une finalité en soi, mais des barèmes permettant de prioriser nos actions. Le ministère est aligné avec le comité [consultatif] », indique-t-il par courriel.

Le 23 février dernier, quand il a dévoilé pour la première fois les résultats des capteurs de CO2, le ministère de l’Éducation a fait uniquement mention de la norme de 1500 ppm dans son communiqué.

« La ventilation est toujours une bonne idée »

Selon l’INSPQ, la COVID-19 se transmet par gouttelettes à proximité et aussi par voie aérienne. Mais à l’école, « la grande partie de la transmission se fait à proximité » par gouttelettes, estime le DStéphane Perron, de l’INSPQ. « Le masque est plus important que la ventilation » comme mesure sanitaire, illustre-t-il. Par exemple, un élève a probablement plus de risques d’attraper la COVID-19 dans une classe à 900 ppm sans autres mesures sanitaires que dans une salle à 1300 ppm avec des mesures sanitaires (port du masque, pas d’élèves en classe avec des symptômes). Le DPerron estime que la qualité de l’air et la ventilation sont des solutions « complémentaires importantes » pour prévenir la propagation de la COVID-19 à l’école. « La ventilation est toujours une bonne idée », dit-il.

Un seuil qui « camoufle la réalité »

L’objectif du ministère de l’Éducation pour la prochaine rentrée scolaire : que 100 % des classes respectent la norme de 1500 ppm de CO2, indique-t-il par courriel. Québec ne se donne pas d’objectif chiffré sur sa « cible » de 1000 ppm pour la prochaine rentrée scolaire.

Les deux principaux syndicats dans le milieu de l’éducation, la Centrale des syndicats du Québec (CSQ ; 125 000 membres en éducation) et la Fédération autonome de l’enseignement (FAE ; 50 000 membres), demandent à Québec de baisser la norme de 1500 à 1000 ppm pour faire des travaux sur la qualité de l’air dans les classes.

La FAE poursuit Québec devant les tribunaux entre autres pour faire baisser la norme à 1000 ppm. « Le gouvernement apporte les correctifs nécessaires aux salles de classe en priorisant les situations urgentes », écrit Québec dans un document de cour visant à faire rejeter la poursuite.

En fixant sa norme à 1500 ppm, Québec a cherché à camoufler la réalité. Ça lui permettait de faire croire que les taux n’étaient pas si problématiques que ça. [La norme de 1500 ppm] n’est pas fondée sur la science, c’est un geste politique qui vise à préserver l’image du ministre et du gouvernement.

Sylvain Malette, président de la Fédération autonome de l’enseignement

« Il faut régler le problème, et on cherche encore le plan [de Québec], dit Éric Gingras, président de la CSQ. On fait quoi dans les écoles pour ne pas retourner à ouvrir les fenêtres 15 minutes à la pause l’hiver prochain ? Ça n’a pas de bon sens. »

Le professeur Maximilien Debia, expert en santé environnementale et en hygiène en milieu de travail, pense que Québec devrait s’inspirer de la France et établir sa limite à 800 ppm. En effet, « 1500 ppm, c’est un niveau [de concentration] très important. Avec la COVID-19, la tendance a été de diminuer de 1200-1000 ppm jusqu’à 800 ppm, et non d’augmenter à 1500 ppm », dit M. Debia, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

Les partis de l’opposition à l’Assemblée nationale estiment aussi que la norme de 1500 ppm dans les classes est trop élevée. Le Parti libéral du Québec a déposé un projet de loi visant à réduire le seuil maximal à 700 ppm dans les écoles en temps de pandémie (et à 1000 ppm hors pandémie).