Si la majorité des Québécois ont repris leurs activités d’avant la pandémie, le nombre des décès liés au virus ne cesse de croître. La province frise le cap des 15 000 morts de la COVID-19. Les décès, tragiques, semblent maintenant faire partie du quotidien.

Trois mois après avoir perdu sa mère, emportée par la COVID-19, Suzanne Ménard lance un message clair : la pandémie n’est pas terminée, et il faut continuer de se protéger. « Les gens pensent que le virus n’existe plus. Ils lèvent les mesures sanitaires, mais il y a encore du monde qui décède », laisse-t-elle tomber.

Sa mère, Jeannine Hamelin, une femme de 95 ans en pleine santé et triplement vaccinée, vivait à la Résidence de la Gappe à Gatineau. « Elle était âgée, mais elle n’avait aucun problème physique. Pas de maladie de cœur ni de diabète », raconte sa fille.

En pleine cinquième vague, une vingtaine de résidants ont contracté le virus. Elle en faisait partie. Dans les premiers jours de l’infection, elle se portait bien. Mais tout a basculé le 21 janvier. En matinée, Suzanne Ménard a reçu un appel : au bout du fil, sa mère, en détresse, lui demande d’appeler une ambulance.

Mme Ménard dit avoir eu un mauvais pressentiment. « J’étais convaincue qu’elle allait mourir », confie-t-elle. En route vers l’hôpital, Jeannine Hamelin a perdu connaissance. À son arrivée au centre hospitalier, les médecins et la famille en sont venus à l’évidence : il fallait la laisser partir.

« J’aimerais que tout le monde se réveille et porte le masque. C’est important », lance-t-elle.

Désensibilisés face à la mort

Depuis le début de l’année 2022, environ 3200 Québécois ont succombé à la COVID-19. Dans les prochains jours, le Québec franchira la barre des 15 000 morts du virus. Après autant de tragédies, sommes-nous devenus désensibilisés face à la mort ? Fort probablement, répondent les experts consultés par La Presse.

« Au début de la pandémie, tout le monde était au bout de son siège pour savoir ce qui se passait. On suivait constamment les chiffres, le nombre de cas et les décès. Mais au fil des mois, il y a eu une transition. On a oublié les visages derrière ces chiffres », remarque le DDonald Vinh, infectiologue et microbiologiste au Centre universitaire de santé McGill.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le Dr Donald Vinh en 2017

La surexposition aux données, combinée à une fatigue pandémique, a mené les Québécois à voir les décès comme des chiffres, soutient le DVinh.

Anthropologue médicale de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), Ève Dubé est aussi de cet avis. « Un nombre de décès, c’est facile de le contourner si on ne s’arrête pas pour y réfléchir. Quand ce ne sont pas nos parents, nos grands-parents, ça demeure très abstrait », dit-elle.

Effet sur les mesures sanitaires

Cette banalisation des chiffres n’est pas sans conséquence, indiquent les experts.

Si on n’a pas peur d’attraper la maladie, on est beaucoup moins motivé à adapter ses comportements.

Ève Dubé, anthropologue médicale de l’INSPQ

Dans les sondages qu’elle mène avec l’INSPQ depuis mars 2020, elle observe que la perception des risques de la COVID-19 ne cesse de diminuer.

Sur le terrain, le DVinh l’observe aussi quotidiennement. « Il y a des patients qui sont à l’hôpital à cause de la COVID-19 et qui ne font pas attention. Ils ne portent pas le masque, il faut qu’on le leur rappelle et ils argumentent », se désole-t-il.

C’est le cas également de certains employés de son hôpital. « Ils marchent sans masque dans les corridors. Pourtant, quelques mètres plus loin, on soigne les patients qui sont gravement malades de la COVID-19. Il y a une déconnexion. Ça n’a pas de sens », avance le médecin.

Les experts rappellent que la pandémie n’est pas terminée, d’où l’importance de continuer à respecter les mesures sanitaires.

« Il y a encore des gens qui sont très malades de la COVID-19. Il faut continuer de respecter les mesures, surtout dans les espaces clos », conclut le DVinh, en ajoutant au passage qu’il n’est jamais trop tard pour obtenir ses doses de vaccin, si on ne l’a pas encore fait.