L’actionnaire minoritaire Philip Morris en cause

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) prévoit rejeter le vaccin candidat de Medicago contre la COVID-19 en raison des liens de la société pharmaceutique avec l’industrie du tabac. Le vaccin « Covifenz » de la société Medicago, établie à Québec, a été homologué par Santé Canada le mois dernier.

La Dre Mariângela Simão, directrice générale adjointe de l’OMS pour l’accès aux médicaments, les vaccins et les produits pharmaceutiques, a déclaré jeudi que la demande déposée par Medicago pour obtenir une licence d’utilisation d’urgence du Covifenz serait probablement refusée, car les politiques de l’organisation sont très strictes depuis 2005 concernant les liens des pharmaceutiques avec les cigarettiers et les fabricants d’armes.

Un des actionnaires minoritaires de Medicago est Philip Morris International, entreprise spécialisée dans la production et la distribution de produits du tabac.

« À l’heure actuelle, Medicago n’a pas reçu de communication officielle de la part de l’OMS », explique par courriel une représentante, de l’agence de service-conseil Tact.

« Notre compréhension est que l’OMS a pris la décision de mettre sur pause l’approbation du vaccin et que cette décision est liée à l’actionnaire minoritaire de Medicago, et non à l’efficacité et la sécurité du vaccin, qui ont été démontrées lors de l’autorisation par Santé Canada », poursuit la porte-parole.

« Medicago est d’avis que ces décisions devraient être basées d’abord et avant tout sur la qualité, l’efficacité et la sécurité du vaccin. »

Le Canada a signé un contrat pour acheter jusqu’à 76 millions de doses du Covifenz, mais sa stratégie vaccinale actuelle repose sur les vaccins à ARNm de Pfizer-BioNTech et de Moderna.

L’OMS avait critiqué ouvertement en 2017 les prétendues bonnes intentions de Philip Morris en matière de santé publique avec sa Fondation pour un monde sans fumée.

Éliminer l’actionnaire associé au tabac ?

Comme la position de l’OMS est connue depuis de nombreuses années, est-ce que Medicago avait déjà prévu une stratégie ? Est-ce qu’un nouvel actionnaire pourrait se joindre à Medicago pour reprendre les actions de Philip Morris ? « Il est trop tôt à ce stade-ci pour se prononcer, soutient par courriel la porte-parole de Medicago, considérant que l’OMS n’a pas annoncé sa décision officielle et que Medicago n’a reçu aucune communication officielle de [sa] part. Je ne peux malheureusement pas vous en dire plus pour le moment. »

Selon François Dauphin, PDG de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques, une transaction pourrait être possible si toutes les parties étaient d’accord et s’il y avait une entente sur la valeur des actions. Un acteur privé ou public pourrait racheter les actions de Philip Morris, qui détient 33 % des parts, et Medicago pourrait aussi racheter ses actions si elle a la capacité financière de le faire, explique le spécialiste. La société japonaise Mitsubishi Tanabe Pharma Corporation détient le reste des actions depuis 2013.

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François Dauphin, PDG de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques

Ça prend assurément l’approbation de l’actionnaire. Ce n’est pas Medicago qui peut le faire à moins qu’elle ait une convention qui prévoit des formes de rachat ou de levier pour permettre d’évincer un actionnaire en cas de litige ou de problème comme celui-là.

François Dauphin, PDG de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques

« S’il y a une nature stratégique pour [l’avenir] de l’entreprise, surtout pour un vaccin, peut-être que la perte de valeur va justifier pour Philip Morris de sortir plus rapidement. »

Réactions politiques

À Ottawa, le ministre de la Santé, Jean-Yves Duclos, a vanté les mérites du vaccin fabriqué par Medicago et a soutenu qu’aucun pays ne devrait être privé de ce vaccin novateur.

Il a précisé qu’il avait eu des communications avec des représentants de l’OMS à ce sujet, tout comme son collègue de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne.

« Évidemment, on suit attentivement les travaux de l’Organisation mondiale de la santé et les échanges entre l’OMS et Medicago. Nous avons été en contact avec Medicago pour nous assurer que les relations avec l’OMS se fassent correctement », a-t-il dit.

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Jean-Yves Duclos, ministre de la Santé du Canada

Le monde entier doit pouvoir profiter de ce vaccin novateur qui est non seulement bon pour les Canadiens […], mais qui pourrait aussi être bon pour beaucoup d’autres êtres humains sur la planète.

Jean-Yves Duclos, ministre de la Santé du Canada

Si l’OMS refuse la demande de Medicago, le Canada ne pourra pas donner des doses de Covifenz à l’organisme COVAX. Cependant, le vaccin pourrait quand même être approuvé par l’Europe et les États-Unis.

L’utilisation du vaccin de Medicago a été autorisée par Santé Canada le 24 février pour les personnes de 18 à 64 ans. L’innocuité et l’efficacité de ce vaccin chez les personnes de moins de 18 ans et de plus de 64 ans n’ont pas encore été déterminées.

Avec la collaboration de Joël-Denis Bellavance, La Presse, et La Presse Canadienne

Le vaccin de Moderna approuvé pour les enfants

Santé Canada a annoncé ce jeudi qu’elle approuvait le vaccin de Moderna contre la COVID-19, le Spikevax, pour les enfants de 6 à 11 ans. Jusqu’à présent, seul le vaccin de Pfizer était administré à ce groupe d’âge. Le Spikevax, à base d’ARN messager, a déjà été approuvé en Australie et dans l’Union européenne.