Les près de 1300 voyageurs ayant défié l’obligation de faire un coûteux séjour à l’hôtel au moment de leur retour sur le sol québécois l’an dernier ont commencé à recevoir des amendes et sont dans le collimateur du ministère de la Justice. Certains entendent aller devant les tribunaux pour les contester.

C’est le cas de R. Tartre, un Québécois retraité qui demande à taire son prénom afin de parler plus librement de sa situation, et qui est rentré de Floride par avion à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau à Montréal avec sa femme en mai 2021.

« Mon épouse et moi étions pleinement vaccinés, et nous l’avions dit aux agents à l’aéroport, explique-t-il. Nous ne mettions personne à risque, nous allions faire notre quarantaine chez nous, dans une maison unifamiliale vide depuis des mois… Ce n’était pas vrai que nous allions payer 1500 $ pour aller à l’hôtel et nous exposer davantage au virus après avoir pris toutes précautions et mesures pour l’éviter. Nous étions d’accord pour nous soumettre à toutes les exigences de la Santé publique sauf pour le séjour obligatoire à l’hôtel. »

En août 2021, le couple de Brossard a reçu par la poste des amendes totalisant plus de 7000 $, envoyées par le ministère de la Justice du Québec. Le couple s’est déclaré non coupable et attend qu’on lui assigne une date de comparution pour se présenter en cour et se défendre.

Au début de l’année 2021, le gouvernement fédéral a obligé tous les passagers qui entraient au Canada par l’un des quatre aéroports internationaux acceptant les voyageurs – Montréal, Toronto, Calgary et Vancouver – à commencer leur quarantaine dans un lieu d’hébergement autorisé par le gouvernement en attendant le résultat de leur test PCR. Les tarifs exigés pouvaient atteindre jusqu’à 2000 $ par personne, selon ce qu’a indiqué le gouvernement fédéral, bien que des voyageurs aient dit avoir dû débourser une somme moindre.

En vigueur du 22 février au 8 août 2021, les séjours à l’hôtel obligatoires ont été refusés par 1292 voyageurs arrivés au Québec, 5983 voyageurs arrivés en Ontario et 812 voyageurs arrivés en Colombie-Britannique, pour un total de 8087 personnes, selon les données de l’Agence de la santé publique du Canada.

L’an dernier, CBC a noté que plus de 500 amendes avaient déjà été remises à des gens qui avaient omis de faire des séjours obligatoires à l’hôtel à Toronto et à Vancouver.

Chambres insalubres

M. Tartre note qu’à l’époque où cette directive était en vigueur, les voyageurs qui arrivaient par voie terrestre à la frontière canadienne n’avaient pas l’obligation d’aller faire un séjour à l’hôtel.

Il y avait une discrimination entre l’arrivée par avion et l’arrivée par voie terrestre. Ça fait partie des points dont on veut parler.

R. Tartre, Québécois rentré de Floride par avion à Montréal en mai 2021

M. Tartre souligne aussi que la province de l’Alberta n’aurait pas appliqué la directive fédérale sur l’obligation de séjourner à l’hôtel et que les amendes prévues n’auraient pas été remises aux voyageurs débarquant à l’aéroport de Calgary. « Donc c’était différent selon la province où on arrivait. Ce n’était pas la même chose pour tout le monde. »

Les séjours obligatoires à l’hôtel ont été associés à plusieurs incidents. À Montréal, un homme a été accusé d’avoir agressé sexuellement une femme de 24 ans alors que les deux personnes, qui ne se connaissaient pas, se trouvaient en quarantaine dans un hôtel de l’aéroport Trudeau. Trois hôtels de Toronto désignés par le gouvernement pour le séjour obligatoire de trois jours auraient eu des éclosions de COVID-19 parmi les employés. D’autres voyageurs ont dit avoir été confinés à des chambres insalubres, dont le prix était anormalement élevé.

Défense factuelle

Selon l’avocat Julius Grey, associé principal de Grey Casgrain, le fait que certaines provinces sont plus zélées que les autres dans leur application d’une loi adoptée par le Parlement canadien n’est pas une défense possible pour des voyageurs qui voudraient contester les amendes.

C’est comme quelqu’un qui dirait : “Les policiers du Québec font passer l’ivressomètre, alors qu’à l’Île-du-Prince-Édouard, ils ne font pas ça.” Ce n’est pas une défense.

L’avocat Julius Grey, associé principal de Grey Casgrain

À première vue, l’avocat ne voit aucune anomalie dans la façon dont le dossier a été traité.

« Maintenant, il peut y avoir une défense factuelle, on ne sait jamais, enchaîne MGrey. Est-ce que la personne ne pouvait pas médicalement ou psychologiquement aller à l’hôtel ? Il peut y avoir une défense sur l’effet individuel, sur la nécessité : si quelqu’un n’était pas allé à l’hôtel pour aller au chevet d’un parent mourant, il y aurait un débat… Mais il n’y a pas de débat sur la juridiction. »

Serait-ce alors possible de contester toute la loi ?

« Quelqu’un pourrait essayer de dire que la quarantaine était illégale… Mais je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de chances. Ce n’est pas comme quelqu’un qui perdrait son travail, par exemple. Voyager à l’étranger, ce n’est pas une nécessité. La personne qui décide de voyager doit se soumettre aux restrictions. »

MGrey ajoute que des restrictions sur les mouvements des voyageurs sont déjà en place au Canada, et datent d’avant la pandémie de COVID-19. « L’Immigration peut vous garder pour la nuit, le temps de vérifier qui vous êtes. C’est tout simplement dans la procédure d’admission au Canada », dit-il.

Politique illogique ?

Les restrictions en place pour les voyageurs au Canada ont-elles lieu d’être ? Le dépistage chez les voyageurs internationaux est fait de façon aléatoire, et les gens qui sont choisis doivent faire une quarantaine chez eux en attendant les résultats. Une politique « coûteuse et incommode », dénonce dans une lettre ouverte au Globe and Mail Zain Chagla, professeur de médecine à l’Université McMaster, en Ontario. « Les risques d’attraper la COVID-19 au Canada ou à l’international commencent à s’équivaloir », fait-il valoir. Pour le virologue Benoit Barbeau, professeur à l’UQAM, la seule chose qui soit « louable » dans la politique actuelle, c’est qu’elle permet à la Santé publique d’avoir l’œil sur l’arrivée de nouveaux sous-variants au pays. « Au-delà de cet aspect, il y a tellement d’infections au niveau du pays, au niveau de la planète, qu’on se demande un peu à quoi ça sert », dit M. Barbeau.