Les nouvelles consignes de Québec inquiètent parents et éducatrices

Les nouvelles consignes du gouvernement du Québec concernant les milieux de garde inquiètent experts, éducatrices et parents, qui les voient comme incohérentes par rapport aux autres mesures sanitaires. Tandis que le gouvernement relâche les règles d’isolement en milieu de garde, on demande aux parents de garder leurs enfants à la maison s’ils le peuvent.

De nouvelles consignes pour gérer la crise sanitaire ont été envoyées aux milieux de garde du Québec le 30 décembre, sans que celles-ci n’aient été annoncées publiquement lors du point de presse des autorités la même journée.

Désormais, les enfants et éducatrices à la petite enfance qui ont été en contact avec une personne positive en milieu de garde n’auront plus à se faire dépister ou à s’isoler, à moins de développer des symptômes de la COVID-19.

Ces enfants seront considérés comme des contacts ​​ « modérés » par les autorités sanitaires. Il leur est recommandé d’éviter les contacts sociaux pendant 10 jours, surtout avec des personnes vulnérables, et de surveiller leurs symptômes. Rappelons que les tout-petits n’ont pas à porter de masque.

Par ailleurs, il est demandé aux parents de ne pas envoyer leurs enfants à la garderie s’ils peuvent l’éviter.

« Contaminer tout un milieu »

« Ça veut dire qu’on laisse des enfants qui pourraient – suite à la période d’incubation présymptomatique – être hyper contagieux et contaminer tout un milieu », affirme d’emblée Roxane Borgès Da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

Les enfants contagieux vont contaminer toutes leurs familles, car ils sont d’importants vecteurs de transmission.

Roxane Borgès Da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal

La professeure comprend qu’avec le contexte de pénurie de main-d’œuvre, le gouvernement souhaite garder les enfants et les éducatrices dans les garderies afin de permettre aux parents de travailler.

Mais « dans un monde idéal, il ne faudrait surtout pas mettre ce type de règle là en place. Ça ne corrobore pas les lignes directrices de la science qui veulent que, pour une maladie contagieuse avec virus respiratoire, on mette en isolement les potentiels contagieux ».

Une option, selon Mme Borgès Da Silva, serait d’utiliser des tests rapides quotidiennement auprès de tous les enfants pour s’assurer qu’ils ne sont pas contagieux. « Avec ça, on réduirait beaucoup les risques », estime-t-elle.

Inquiétudes partagées

« Ce que je trouve difficile présentement, c’est que mon premier rôle, c’est de veiller à la sécurité et au bien-être des enfants et de mon personnel, explique Brigitte Prévost, directrice générale du CPE À Petits Pas, situé à Dorval. Là, j’ai l’impression que je ne peux pas le faire. »

Mme Prévost a pris l’initiative d’avertir tous les parents par courriel lorsqu’un enfant sera atteint de la COVID-19 dans un groupe, afin que ceux-ci puissent les retirer, s’ils le peuvent. « Je trouve que c’est mettre beaucoup de pression sur nos épaules », indique-t-elle, la gorge nouée.

J’ai peur de me retrouver avec des éclosions qui sont ingérables.

Brigitte Prévost, directrice générale du CPE À Petits Pas

Une inquiétude partagée par Marie-Ève Tardif, éducatrice d’un milieu familial subventionné à Bromont, dans les Cantons-de-l’Est. « Depuis le début [de la pandémie], on ouvre nos portes, et on espère qu’on n’ouvre pas la porte au virus, soutient-elle. Mais si moi, je l’attrape [la COVID-19], ou ma fille, ou mon conjoint, c’est autre chose. Je mets ma famille constamment en danger. »

Pour Marie-Ève Tardif aussi, ces consignes vont à l’encontre de ses pratiques. « La santé et la sécurité de l’enfant est ce qui est censé être le plus important. Là, on fait l’inverse de ça. »

Un casse-tête pour les parents

S’organiser sans service de garde est un casse-tête pour de nombreux parents, et ce, même s’ils travaillent à distance. Dans la famille de Valérie Bellemare et Nicolas Lupien, à Montréal, leurs deux garçons de 4 et 7 ans seront désormais gardés par leurs grands-parents, dans une bulle familiale élargie, mais fermée.

« Il y a un assouplissement [des mesures dans les garderies] malgré une augmentation des cas, relève Nicolas Lupien, qui travaille en milieu manufacturier et est membre du conseil d’administration du CPE de son enfant. Et il y a une incohérence entre les deux milieux différents [soit les écoles et les garderies]. Nous, on est un peu choqués, on ne s’en cache pas. »

Nicolas Lupien craint aussi que les fermetures, notamment des écoles, se poursuivent bien après le 17 janvier. « Donnez-nous au moins l’heure juste ! Dites-nous que ça va être deux mois, et changez d’idée plus rapidement, plutôt que de donner deux semaines et de le prolonger. »

Vers plus de stabilité pour les enfants ?

« Je n’ai pas l’impression qu’il y a une solution facile actuellement dans le contexte », estime Nathalie Bigras, directrice scientifique de l’équipe de recherche Qualité des contextes éducatifs de la petite enfance de l’Université du Québec à Montréal.

Tout le monde essaie de ménager la chèvre et le chou, en essayant de s’assurer que les éducatrices sont là le plus longtemps possible, les enfants aussi, et qu’il n’y ait pas de bris de service pour les parents.

Nathalie Bigras, directrice scientifique de l’équipe de recherche Qualité des contextes éducatifs de la petite enfance de l’Université du Québec à Montréal

Un point positif des assouplissements, selon Mme Bigras, est qu’ils permettront d’assurer une meilleure stabilité dans les groupes des enfants. « Dans la perspective des besoins des enfants, [il est important] qu’ils soient en contact avec les mêmes personnes de façon quotidienne, explique Nathalie Bigras. Mais je suis pleinement consciente que l’inquiétude des éducatrices et des services de garde est justifiée. »

« Depuis la COVID-19, avoir une garderie, tu le fais par passion pour les enfants, remarque Marie-Ève Tardif. Le gouvernement veut garder ses éducatrices dans les garderies. Mais là, il nous met en danger, autrement dit. »