De simples pilules à avaler dans le confort de son foyer avec un grand verre d’eau pour empêcher le coronavirus de causer une grave maladie ou la mort. Les Américains et les Européens ont déjà droit à ce médicament, le Paxlovid, qu’on croit efficace contre le variant Omicron. Mais pas les Canadiens. Aurait-il pu tout changer ?

« Les antiviraux deviendront très importants »

Si Santé Canada avait déjà autorisé d’urgence le nouvel antiviral de Pfizer, aurait-il pu nous permettre d’échapper aux fermetures généralisées et à un deuxième Noël gris ?

« En théorie, oui, en soulageant les hôpitaux », répond le DAndré Veillette, professeur de médecine et immunologiste à l’Institut de recherches cliniques de Montréal.

« Mais pour être efficace, le Paxlovid doit être pris très vite, quelques jours après le début des symptômes. Ça prend donc un diagnostic précoce, ce qui représente un énorme défi actuellement, quand les gens ne sont même pas capables de passer un test ou doivent attendre cinq jours pour avoir leur résultat », explique le Dr Veillette.

Obtenir ensuite une ordonnance médicale en un éclair n’est pas non plus à la portée des centaines de milliers de Québécois sans médecin de famille.

« Le Paxlovid aurait pu aplatir la vague, peut-être, mais pas l’annuler complètement », conclut pareillement la Dre Julie Autmizguine, pédiatre infectiologue au CHU Sainte-Justine.

Même dans le contexte idéal d’une étude clinique, les participants se présentent en moyenne quatre jours après les premiers signes d’infection, constate pour sa part la Dre Emily McDonald, chercheuse et médecin interniste au Centre universitaire de santé McGill.

Qui favoriser ?

Autre embûche majeure : l’approvisionnement. Le gouvernement fédéral n’a pas attendu la décision de Santé Canada pour acheter à Pfizer 1 million de traitements. Mais les produire prend plus de six mois. Comme les vaccins, ils devraient donc arriver au compte-gouttes.

Aux États-Unis – où le Paxlovid vient tout juste d’être autorisé d’urgence –, on aura accès à environ 65 000 traitements dans la prochaine semaine et à 250 000 autres d’ici la fin de janvier, selon l’Associated Press. La Food and Drug Administration (FDA) américaine a qualifié le moment de « crucial », vu la montée d’Omicron.

PHOTO FOURNIE PAR PFIZER, VIA REUTERS

Un employé de Pfizer vérifie les boîtes contenant du Paxlovid, dans un centre de distribution à Memphis, au Tennessee.

Son équivalent européen a donné son feu vert pour les mêmes raisons, dès le 16 décembre. Mais les Français ne recevront presque rien avant deux mois.

Pfizer prévoit produire 80 millions de traitements en 2022. « C’est quand même significatif si on les garde pour les gens à haut risque, qui auront les bénéfices les plus importants », commente Alain Lamarre, professeur-chercheur spécialisé en immunologie et en virologie à l’Institut national de la recherche scientifique.

Cela signifie-t-il qu’on favorisera les non-vaccinés ? « Puisqu’Omicron infecte aussi des gens vaccinés, je ne pense pas qu’on devrait leur enlever complètement l’option du traitement », répond le chercheur.

Par contre, je ne pense pas que ce sera distribué à grande échelle à tout le monde à la pharmacie. Au coût qu’on prévoit, ce serait mal utiliser le médicament que de le donner à des gens jeunes et en bonne santé.

Alain Lamarre, professeur-chercheur spécialisé en immunologie

Le virologue Benoit Barbeau, professeur au département des sciences biologiques de l’UQAM, est du même avis. « Il faut absolument éviter leur utilisation à l’excès. Le virus pourrait arriver avec des solutions pour résister. »

Un peu d’espoir

Malgré tous ces bémols, les experts se réjouissent. « Les antiviraux deviendront sans doute très importants en bout de ligne », prédit l’immunologiste André Veillette.

Le Paxlovid ne mettra pas fin à la pandémie, puisqu’il n’empêche pas la contamination, prévient de son côté l’interniste Emily McDonald : « Mais diminuer les hospitalisations serait une très bonne chose pour le système de santé. »

Pfizer a déposé sa demande à Santé Canada le 1er décembre. Le ministère nous a écrit par courriel : « Comme l’examen est toujours en cours, il n’est pas possible de prédire quand une décision réglementaire sera prise. »

Le Paxlovid en quatre questions

Comment fonctionne-t-il ?

Les gens infectés doivent avaler deux médicaments toutes les 12 heures, cinq jours de suite. Une pilule rose s’attaque directement au coronavirus. Elle bloque l’action d’une des enzymes qu’il utilise pour se répliquer, ce qui l’empêche d’envahir nos cellules. Une pilule blanche, de ritonavir, permet au Paxlovid de rester plus longtemps dans le sang. Elle contribue déjà à soigner le VIH. Pour fonctionner, le traitement doit débuter au maximum cinq jours après les premiers signes d’infection. « Quand le virus s’est déjà beaucoup répliqué et bien disséminé, il est un peu trop tard, explique l’immunologue Alain Lamarre. Le système immunitaire embarque et il y a tout ce problème de tempête immunitaire, que le médicament ne traite pas. »

PHOTO FOURNIE PAR PFIZER, VIA L’AGENCE FRANCE-PRESSE

Pilules antivirales expérimentales Paxlovid, dans un laboratoire de Pfizer, à Fribourg, en Allemagne

Quelle est son efficacité ?

Les résultats des études menées par Pfizer auprès de 2200 patients ont dépassé toutes les espérances. Pris assez tôt, le Paxlovid réduit de 88 % les hospitalisations et les morts chez les personnes non vaccinées et à haut risque (parce qu’elles sont âgées, obèses, malades, etc.). Aucun des participants qui en ont reçu n’est mort, alors qu’on a déploré une douzaine de morts chez ceux qui avaient reçu le placebo. Le Paxlovid a par ailleurs réduit les hospitalisations et les morts de 70 % chez les participants à risque « standard ». Une étude en cours permettra de savoir s’il réduit en prime le risque de contagion, puisqu’il diminue la charge virale. In vitro, le médicament de Pfizer s’est révélé efficace contre Omicron. « Mais il faut attendre les résultats dans la vie réelle », affirme le virologue Alain Lamarre.

Quels sont ses dangers ?

Moins de 2 % des participants aux études sur le Paxlovid ont dû arrêter le traitement en raison d’effets secondaires graves : problèmes de foie ou de pancréas, diarrhées, nausées, vomissements, vertiges, éruptions cutanées, etc. Le traitement est toutefois contre-indiqué chez les femmes enceintes ou susceptibles de le devenir. Il peut par ailleurs interagir avec des médicaments couramment utilisés comme les statines, prescrits contre l’excès de cholestérol.

Quel est son coût ?

Pour chaque hospitalisation évitée grâce au Paxlovid, le Québec devra dépenser au moins 10 500 $, d’après une étude de l’Université McGill prépubliée cette semaine sur la plateforme medRxiv1. « Pour prévenir une seule hospitalisation, il faut donner le traitement à au moins 12 personnes, explique l’interniste Emily McDonald, qui cosigne l’article. Ce n’est pas le coût unitaire [de 875 $]. » Réserver le traitement aux patients les plus susceptibles d’entrer à l’hôpital évite de « gaspiller » trop de doses en les donnant à trop de gens de façon superflue. Hospitaliser un patient atteint de la COVID-19 coûte en moyenne 23 000 $ (ce qui n’inclut pas les coûts administratifs et sociétaux).

1. Comparing Drug Costs to prevent Hospitalization : Outpatient Therapies for COVID-19

Molnupiravir de Merck : un autre médicament prometteur

Une autre pilule anti-COVID-19 – déjà utilisée au Royaume-Uni et au Danemark – vient d’être autorisée d’urgence aux États-Unis, 24 heures après celle de Pfizer.

PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Molnupiravir, médicament anti-COVID-19 de Merck

D’abord destiné à soigner la grippe, le molnupiravir de Merck bloque lui aussi la réplication du coronavirus et doit lui aussi être avalé dans les cinq jours qui suivent l’apparition des symptômes.

Mais il s’avère trois fois moins efficace que le Paxlovid de Pfizer. Lors des essais, il a réduit de 30 % le risque d’hospitalisation et de décès chez les adultes non vaccinés à haut risque (en raison de leur âge avancé, de leur poids ou de problèmes métaboliques, pulmonaires, rénaux, etc.).

Au Royaume-Uni, depuis novembre, les personnes de 50 ans et plus peuvent demander le médicament en ligne lorsqu’un test confirme qu’elles ont été contaminées. Il leur est livré à domicile le lendemain.

Le secrétaire d’État à la Santé du Royaume-Uni a qualifié la pilule de Merck de « traitement révolutionnaire » qui pourrait « changer la donne ».

En France, le ministre de la Santé avait promis que des milliers de doses seraient accessibles ce mois-ci et pourraient être « prescrites par les médecins généralistes » et « disponibles dans les pharmacies ».

Cela ne s’est pas produit, les autorités scientifiques du pays ayant conclu le 10 décembre que son efficacité suscitait « trop de doutes ».

Le traitement de Merck pourrait par ailleurs provoquer des malformations congénitales et nuire au développement du système osseux.

À l'étude au Canada

Santé Canada étudie la demande d’autorisation du fabricant depuis plus de quatre mois. Dans l’intervalle, le gouvernement fédéral lui a acheté assez de molnupiravir pour soigner 500 000 personnes.

Merck a annoncé au début de décembre avoir conclu une entente avec le laboratoire ontarien Thermo Fisher Scientific, auquel il déléguerait la fabrication de son antiviral.

Malgré son efficacité moindre, le molnupiravir pourrait avoir son utilité, estime le virologue Alain Lamarre. Entre autres parce qu’il attaque le virus d’une autre manière que le Paxlovid – en s’insérant dans son génome pour provoquer des « erreurs » qui dérèglent la réplication.

Lorsqu’on attaque un virus sur plusieurs fronts, en combinant des molécules, il a plus de mal à muter pour résister au traitement.