Coup de théâtre dans l’enquête sur les décès en CHSLD lors de la première vague de la COVID-19 

(Québec) La ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais, témoignera finalement devant la coroner Géhane Kamel, a appris La Presse. Elle défendra sa gestion de la crise le 13 janvier.

Son témoignage sera fort attendu. La version des faits présentée jusqu’ici par les acteurs-clés du gouvernement Legault a soulevé la controverse et a même été contredite à certains égards.

C’est tout un revirement de situation. Le 8 novembre, MKamel avait annoncé que Marguerite Blais ne serait pas en mesure de témoigner comme prévu en raison d’ennuis de santé. La ministre, âgée de 71 ans, est en congé de maladie pour cause d’épuisement professionnel et de douleurs persistantes à une jambe depuis le 29 octobre.

Tout porte à croire que Mme Blais se porte mieux, en tout cas suffisamment bien pour répondre aux questions de la coroner Kamel.

D’ailleurs, au gouvernement, des informations circulaient lundi selon lesquelles Marguerite Blais pourrait être en mesure de reprendre ses fonctions après les Fêtes. Ce retour n’était pas sur l’écran radar la semaine dernière encore. On ne s’attendait pas non plus à ce qu’elle puisse témoigner dans le cadre de l’enquête de la coroner.

Témoignage reporté, mais pas annulé

Dans un communiqué diffusé le 29 octobre, Mme Blais précisait qu’elle cessait « temporairement ses fonctions » sur recommandation de son médecin. Le premier ministre François Legault déclarait le même jour qu’il avait « suggéré [à Mme Blais] de prendre un petit peu de temps et après de revenir en pleine forme ». Il exprimait le souhait qu’elle puisse terminer son mandat.

En novembre, à l’Assemblée nationale, l’opposition avait suggéré que le témoignage de la ministre soit reporté au lieu d’être annulé, le temps qu’elle se refasse une santé.

À la suite de révélations au cours des dernières semaines, la pression a augmenté pour que Marguerite Blais donne sa version des faits.

Des courriels déposés au bureau de la coroner montrent que des CHSLD privés avaient alerté le ministère de la Santé et le cabinet de la ministre Blais dès la mi-mars qu’une catastrophe se préparait en raison d’un manque d’équipement de protection, du mouvement de personnel d’un établissement à l’autre et du transfert de patients en provenance des hôpitaux. Tous ces facteurs auront contribué à la crise dans les CHSLD, où près de 4000 personnes sont mortes en raison de la COVID-19 lors de la première vague de la pandémie.

En novembre, devant la coroner Kamel, l’ex-ministre de la Santé Danielle McCann a soutenu qu’il avait été demandé dès janvier aux PDG des CISSS et des CIUSSS de préparer leurs plans de lutte contre la pandémie, y compris dans leurs CHSLD.

Le sous-ministre à la Santé de l’époque, Yvan Gendron, avait lui aussi expliqué que le mot d’ordre de se préparer avait été transmis dès janvier. Ils avaient ajouté que les PDG étaient responsables de préparer les CHSLD. Le directeur national de santé publique, le DHoracio Arruda, avait tenu des propos allant dans le même sens.

Rapport dévastateur

Or, la version de ces acteurs-clés du gouvernement a été contredite par la protectrice du citoyen, Marie Rinfret, dans un rapport d’enquête dévastateur sur la gestion de la pandémie dans les CHSLD lors de la première vague.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Marie Rinfret, protectrice du citoyen

« Les faits ne mentent pas », a déclaré Mme Rinfret. Il aura fallu attendre la mi-avril, alors que c’était déjà le « chaos », pour que des « actions [soient] prises » par Québec pour les CHSLD. « Ça a été une somme inouïe d’absence de prises en compte, et c’est pour ça qu’on en conclut que les CHSLD n’ont été pris en compte dans aucun des scénarios de préparation de la pandémie », avait-elle lancé.

Elle a démontré que les CHSLD n’étaient pas du tout au centre des préoccupations en janvier 2020 et qu’il n’y avait aucune directive ou initiative de Québec les concernant à ce moment.

Marguerite Blais sera également appelée à démêler toute l’histoire entourant les rapports d’inspection dans les CHSLD réalisés à la suite du scandale Herron.

Devant la coroner, sa sous-ministre Natalie Rosebush a déclaré que les inspecteurs présentaient surtout verbalement leurs recommandations et que des versions des quelques rapports écrits étaient « écrasées » dans le système informatique, ce qui les rendait difficiles à trouver. Après avoir manifesté publiquement son insatisfaction au sujet des premiers documents remis par le Ministère, Géhane Kamel a finalement reçu les rapports en question. Elle a décidé de reporter en janvier la poursuite des audiences, le temps de prendre connaissance de cette preuve.

« Pouvoir limité »

Le calendrier des audiences de la coroner montre que des représentants du ministère de la Santé seront entendus le 13 janvier, mais le nom de Marguerite Blais ne s’y trouve pas encore. Il sera ajouté bientôt.

Dans une entrevue accordée à l’émission Enquête il y a un an, Marguerite Blais reconnaissait avoir « perdu la bataille » des CHSLD et prenait sa « part de responsabilité ». Elle écorchait toutefois le directeur national de santé publique, le DHoracio Arruda, et François Legault – en laissant entendre que son pouvoir était limité et que c’est le premier ministre « qui a le pouvoir et qui décide des orientations ».

Elle notait qu’elle avait recommandé en vain la création d’un comité sur les aînés au début de la pandémie. Toujours selon ses propos, elle avait demandé de mettre des efforts dans les CHSLD lors de réunions de la cellule de crise, mais son avis n’était pas toujours pris en compte rapidement en raison d’une approche hospitalo-centriste.

« J’étais au bout du fil dès 7 h le matin. Je donnais mon point de vue. Peut-être que ce que je disais était pris en considération une semaine ou deux après, mais je le disais », soutenait-elle.