Le directeur national de santé publique du Québec, le DHoracio Arruda, a expliqué jeudi que plusieurs facteurs avaient été considérés quand était venu le temps d’imposer des mesures de protection en début de pandémie.

Témoignant à l’enquête publique du coroner sur les décès survenus en CHSLD au printemps 2020, le DArruda a expliqué jeudi le « processus de gestion du risque » qui a guidé le ministère de la Santé et des Services sociaux dans ses recommandations. Il a d’emblée souligné qu’« il n’y a pas juste la science qui décide ». « Il y a des éléments environnementaux, sociaux, éthiques par rapport aux choix qu’on peut faire […]. Il y a des éléments de faisabilité par rapport au contexte actuel […]. C’est beau, la théorie, mais il faut être capable de l’appliquer dans le terrain réel », a-t-il dit.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le Dr Horacio Arruda, directeur national de santé publique du Québec

Plus tôt jeudi, le DRichard Massé, nommé conseiller spécial du Dr Arruda à la fin mars 2020, avait expliqué que le risque de manquer de masques d’intervention avait été envisagé par les autorités de santé publique dans leurs recommandations.

Au mois de mars [2020], en termes de disponibilité de masques [d’intervention] et de tests, on n’était pas dans une affaire illimitée.

Le DHoracio Arruda, directeur national de santé publique du Québec

Le principe de précaution

Le 18 mars 2020, le DArruda a chargé le Comité des infections nosocomiales du Québec (CINQ) d’effectuer une veille scientifique sur la COVID-19. La science évoluait à toute vitesse à cette époque. Ces avis guidaient le DArruda dans ses décisions.

Fin février, le CINQ avait publié un avis dans lequel on soulevait l’hypothèse que le virus pouvait se transmettre de façon aérienne et où on recommandait le port de protections en conséquence. Mais à la mi-mars, le CINQ affirmait plutôt que la maladie se transmettait essentiellement par gouttelettes. La coroner Géhane Kamel a expliqué que ce changement de cap, valable ou non, peut avoir « créé un doute » chez certains travailleurs.

Le DArruda a rappelé que la science évoluait rapidement en début de pandémie. Le DMassé a expliqué que durant la première vague, les discussions avec le CINQ étaient quotidiennes.

[Il y avait] beaucoup d’allers-retours [..,]. Pas pour toucher du tout à l’autonomie professionnelle ou à l’expertise. Mais pour la comprendre comme il faut et dire [quel est] l’impact de cette chose-là.

Le Dr Richard Massé, conseiller médical stratégique à la direction générale de la santé publique

L’avocat Patrick Martin-Ménard, qui représente les familles de certains défunts, a demandé au DMassé si, puisque des doutes existaient en début de pandémie sur le mode de transmission de la maladie, le principe de précaution n’aurait pas dû être appliqué et le masque d’intervention porté partout dans le réseau de la santé. Le DMassé a répondu que « le principe de précaution, on ne l’utilise pas comme étant blanc ou noir ». « Est-ce qu’on a les masques pour le faire auprès de tout le monde ? Il faut faire une gestion de risques », a-t-il dit. Pour lui, au-delà du principe de précaution, il y a le « principe de la réalité ».

Le DMassé a rappelé que jusqu’à la fin du mois de mars 2020, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) considérait que le virus était essentiellement transmis par des personnes symptomatiques. Ce n’est qu’à la fin de mars que le risque de transmission par les personnes asymptomatiques a été confirmé. Le port généralisé du masque d’intervention a été imposé dans les milieux de soins prolongés le 8 avril. Ce « virage » a été « conditionné en partie par la disponibilité des ressources ».

Les personnes âgées, une priorité

Avant d’entamer son témoignage jeudi, le DArruda a offert ses condoléances aux familles des 5000 personnes décédées en CHSLD durant la première vague. Il a déclaré que les personnes âgées avaient toujours été sa « priorité ». « C’est clair que les personnes âgées étaient les plus vulnérables », a-t-il dit. C’est d’ailleurs pour cette raison que les visites en CHSLD ont été rapidement limitées, a expliqué le DArruda, car en mars, on craignait que les voyageurs ne soient porteurs de la maladie.

Le DMassé a reconnu que les CHSLD n’avaient « pas le même niveau de préparation » à la pandémie que le milieu hospitalier. Mais pour lui, le réseau des CHSLD était en état de « faiblesse structurelle » au Québec.

Tant le DArruda que le DMassé ont expliqué que plusieurs plans de préparation à une pandémie ont été rafraîchis et consultés dès janvier au Québec. Il a été beaucoup question du Plan québécois de lutte à une pandémie d’influenza, qui date de 2006. Dans ce plan, on peut lire : « En raison du volume et de la fréquence des voyages internationaux […], il semble réaliste de penser qu’une première vague d’infections sera observée au Canada dans les trois à quatre mois suivant l’émergence d’une nouvelle souche virale pandémique. » On indique aussi que le taux d’absences du personnel du réseau de la santé pourrait atteindre 30 % en cas de pandémie.

« Tout est écrit dans ce plan », a noté la coroner Géhane Kamel. Celle-ci a demandé pourquoi le délestage du personnel de la santé n’avait pas été prévu plus tôt, sachant que la pénurie de personnel risquait d’arriver. Le DArruda a expliqué que « notre société a un problème de main-d’œuvre inouï ». Mais pour lui, un seul facteur ne peut expliquer la crise que le Québec a vécue. « C’est un ensemble de facteurs », a-t-il dit. Le témoignage du DArruda se poursuivra lundi.