Il n’y a pas que le sort des préadolescents voyageurs sans passeport vaccinal qui fasse l’objet d’un étrange jeu de ping-pong administratif entre le fédéral et le provincial. Parlez-en aux Québécoises qui ont choisi de prendre le nom de famille de leur mari…

Johanne Tassart a deux noms de famille : celui de son mari, qu’elle utilise depuis 45 ans (le nom, pas le mari !), et celui qu’elle portait à sa naissance, Dion, et qu’elle n’utilise pratiquement jamais.

Tous ses papiers d’identité, notamment son passeport canadien, portent son nom de femme mariée. Tous… sauf sa carte d’assurance maladie du Québec. Au Québec, depuis le 2 avril 1981, les droits civils doivent s’exercer avec le nom de naissance, même dans le cas des femmes qui se sont mariées avant cette date.

Cette discordance entre ses deux noms de famille lui causait peu de désagréments… jusqu’à aujourd’hui : la voilà titulaire d’un passeport canadien au nom de Johanne Tassart et d’une preuve de vaccination au nom de Johanne Dion.

Comment prouver aux douaniers, aux restaurateurs, aux gardiens de musée, aux placiers de salles de spectacle, aux organisateurs de congrès, bref, au monde entier qui voudra vérifier sa preuve de vaccination, que ces deux Johanne sont la même personne ?

J’anticipe un paquet de problèmes si je dois voyager à l’étranger.

Johanne Tassart

Interpellé à ce sujet à quelques reprises ces derniers mois, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec n’en démord pas. « Le nom sur la carte d’assurance maladie et celui de la preuve vaccinale doivent concorder. Aucune exception n’est permise et il n’est pas possible non plus de faire des changements dans les centres de vaccination », nous a répété cette semaine son porte-parole, Robert Maranda.

Le Directeur de l’État civil ne permet pas aux femmes de changer officiellement leur nom de naissance pour le nom de leur mari, à moins d’un « motif sérieux », « c’est-à-dire qu’il s’agit d’un motif grave, valable et important, par opposition à une simple préférence », précise la porte-parole Catherine Poulin. « Le Code civil n’interdit pas aux femmes mariées d’utiliser le nom de leur époux dans leur vie sociale. Il prévoit cependant que, si elles le font, elles sont responsables de la confusion ou du préjudice qui peut en résulter. »

Très bien, s’est dit notre lectrice. Si elle ne peut pas être Mme Tassart au Québec, peut-être devrait-elle (re)devenir Mme Dion au Canada ? Elle s’est donc tournée vers Passeport Canada, pour faire changer le nom sur son passeport canadien. « Mais la demande a été refusée parce que mon passeport avait été renouvelé récemment. »

Mon bikini, ma brosse à dents… mon certificat de mariage ?

Retour à la case départ, avec deux passeports – passeport canadien et passeport vaccinal – portant deux noms différents pour une seule Johanne. Mme Tassart est d’ailleurs loin d’être la seule dans cette situation : des dizaines d’autres lectrices, qui se sont mariées au Québec avant 1981 ou à l’étranger avant d’immigrer ici, nous ont écrit pour nous faire part de leur désarroi.

Lorsqu’elles ont plaidé leur cause au téléphone ou par courriel auprès du Ministère, elles se sont butées à la directive officielle selon laquelle aucune modification n’est possible sur la preuve vaccinale. Mais certaines ont réussi à y faire ajouter le nom de leur mari en se présentant dans un centre de vaccination. C’est le cas des Marcoux-Dufour, qui ont obtenu une telle modification dans un centre de la Montérégie en septembre. « La préposée nous a dit faire ce genre de modifications plusieurs fois par jour », nous a indiqué Claude Marcoux.

Il existe pourtant une mention du nom d’une femme mariée dans les dossiers de la Régie d’assurance maladie du Québec (RAMQ). Sur la carte d’assurance maladie, sous le nom du titulaire, un espace est prévu pour le « nom de l’époux », fait remarquer Mireille Coderre (Mireille Farmer pour la RAMQ).

Mais le Ministère me dit que même si le nom de mon mari apparaît sur ma carte d’assurance maladie, il est impossible de l’inclure sur ma preuve vaccinale. […] Mon mari et moi sommes informaticiens de carrière et avons beaucoup de misère à comprendre cette affirmation.

Mireille Coderre

En septembre dernier, le directeur de la campagne de vaccination, Daniel Paré, avait indiqué que si le passeport vaccinal québécois était utilisé par des institutions qui reconnaissent le nom de femme mariée (par exemple les douanes canadiennes), ces institutions allaient devoir prévoir un accommodement pour les personnes concernées pour en tenir compte.

Un agent d’information du ministère de la Santé et des Services sociaux a donc suggéré à Johanne Tassart de présenter sa carte de la RAMQ (qui porte ses deux noms) pour faire concorder sa preuve de vaccination et son passeport canadien. Le transporteur aérien Air Transat lui a recommandé d’emporter son certificat de mariage dans ses bagages – recommandation que lui a également faite son député.

Est-ce que ce sera suffisant ? Jusqu’ici, aucune lectrice ne nous a dit avoir subi de conséquences fâcheuses de cette particularité administrative lors d’un déplacement à l’étranger. Louise Morin, une lectrice actuellement en voyage à Dubaï, nous a dit avoir apporté son permis de conduire (où ses deux noms apparaissent) pour prouver son identité. Heureusement, jusqu’ici, personne ne lui a demandé d’expliquer pourquoi, dans son pays, elle ne porte pas toujours le même nom.

Lisez « Vos questions, nos réponses : cloués au sol à leur 12e anniversaire »

Le code QR québécois peut-il être « lu » à l’étranger ?

À la suite de notre article paru le 10 octobre où nous indiquions que le code QR québécois ne pouvait pas être « lu » à l’étranger, des lecteurs nous ont signalé qu’ils avaient pourtant réussi à l’utiliser dans d’autres provinces canadiennes. Une lectrice a même affirmé que son code avait pu être scanné en Europe. Qu’en est-il ? Le ministère de la Santé et des Services sociaux nous répond que « le code QR du Québec respecte une norme internationale nommée “VCI for SHC”. Nous savons que la Colombie-Britannique a téléchargé notre lecteur de code accessible à tous. La preuve vaccinale de la Colombie-Britannique fonctionne selon les mêmes normes. Pour l’Europe, nous n’avons pas d’information officielle en ce sens ». Bref, en cas de déplacement en dehors du Québec, mieux vaut avoir avec soi une preuve vaccinale détaillée (qu’on peut obtenir sur le portail libre-service du Ministère) que seulement son code QR.

D’autres lecteurs nous ont demandé s’il allait être possible, voire recommandé, d’obtenir une version anglaise de sa preuve de vaccination pour pouvoir la présenter aux États-Unis ou ailleurs. Le Ministère répond que des travaux à cette fin « sont en cours », notamment dans le cadre de la création d’un « passeport vaccinal canadien », commun à toutes les provinces. À noter que le nom des vaccins administrés au Québec est généralement reconnu dans la plupart des pays, peu importe la langue.