(Ottawa) Le couperet est sur le point de tomber pour les fonctionnaires réfractaires à la vaccination : ceux qui ne sont pas adéquatement vaccinés ou qui refusent de divulguer leur statut vaccinal seront mis en congé sans solde le 15 novembre. Quant aux Canadiens qui souhaitent voyager en avion ou en train, ils doivent aussi faire vite : à compter du 30 octobre, ils devront aussi être pleinement vaccinés – dès le 30 novembre, il n’y aura plus de passe-droit pour les passagers.

Le gouvernement Trudeau a présenté mercredi les détails de la politique vaccinale qu’il s’était engagé à mettre en œuvre tout juste avant le déclenchement des élections, et qui entre en vigueur dès maintenant – un plan qui prévoit de « rares » exemptions pour ceux qui ont des contre-indications médicales ou qui comptent invoquer des motifs religieux.

« En tant que principal employeur du pays, nous voulons nous assurer que le gouvernement du Canada montre l’exemple et mette en place une politique de vaccination qui assure la sécurité des gens. Notre gouvernement a d’ailleurs été réélu pour mettre en œuvre cette initiative clé », a lancé d’entrée de jeu la vice-première ministre, Chrystia Freeland, qui a fait cette annonce avec le premier ministre Justin Trudeau.

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Le premier ministre Justin Trudeau et la vice-première ministre Chrystia Freeland, en conférence de presse, mercredi

Les quelque 267 000 employés de l’administration publique fédérale, dont ceux de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), ont jusqu’au 29 octobre pour prouver leur statut vaccinal sur une plateforme web sécurisée. Une directive sera également émise par le chef d’état-major intérimaire des Forces armées pour informer les militaires de l’obligation vaccinale.

Les fonctionnaires non vaccinés qui ne bénéficient d’aucune exemption demeureront en congé administratif jusqu’à ce que leur statut vaccinal change ou que la politique ne soit plus requise, tandis que ceux qui ont eu une exemption devront se faire dépister chaque semaine, aux frais du gouvernement. L’obligation vaut pour les fonctionnaires en télétravail et pour ceux qui sont en poste à l’étranger.

En conférence de presse, Justin Trudeau s’est félicité de l’implantation de ces contraintes, parmi « les plus sévères au monde », car « lorsqu’il s’agit d’assurer votre sécurité et celle de votre famille, lorsqu’il s’agit d’éviter des confinements, l’heure n’est pas aux demi-mesures ». Et il a signalé qu’un fonctionnaire pris en délit de mensonge s’exposait à des « conséquences sévères », qui peuvent aller jusqu’au congédiement.

Au sujet des exemptions religieuses, le premier ministre a prévenu qu’elles seraient « extrêmement limitées et difficiles à obtenir », et qu’une « conviction personnelle » antivaccin ne suffirait pas. Avant lui, lors de la séance d’information technique, une cadre supérieure du gouvernement avait pris soin de souligner que les principaux leaders religieux avaient encouragé leurs ouailles à relever leur manche.

Réactions positives, contestations prévisibles

Si l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC) note qu’elle « appuie sans réserve l’adoption d’une politique fédérale de vaccination », elle a reproché au gouvernement d’avoir « conçu sa politique à la hâte, sans tenir les consultations qui s’imposaient avec les syndicats des principaux intéressés ».

Et « bien que la grande majorité » de ses 160 000 membres soient vaccinés, l’AFPC promet de continuer à « représenter ceux et celles qui font l’objet de sanctions parce qu’ils ne sont pas vaccinés », a-t-elle déclaré par voie de communiqué, soutenant qu’Ottawa lui avait donné « moins d’une journée ouvrable » pour se prononcer.

Du côté de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC), on approuve le principe de la politique, mais on regrette qu’elle « ne soit pas granulaire » et qu’elle s’applique à l’ensemble de la fonction publique, sans égard au contexte, explique en entrevue Stéphane Aubry, vice-président national.

L’avocat Claude Gravel, spécialisé en droit du travail, est formel : des poursuites judiciaires seront assurément déposées.

C’est évident que certains vont contester les suspensions sans solde. Ça a des effets sur la couverture d’assurance et les régimes de retraite.

Claude Gravel, avocat spécialisé en droit du travail, dans une entrevue avec La Presse

Il reste à voir comment cela se jouera devant les tribunaux. « Chaque contestation va être un cas d’espèce. Dans certains cas, ça pourrait être pleinement justifié, par exemple si des gens ont à interagir avec des gens immunosupprimés. […] Entre le blanc et le noir, il y a 126 tons de gris », estime MGravel.

« Pour voyager, il faut être vacciné »

Le gouvernement avait aussi un message à adresser aux Canadiens non vaccinés qui caressent des projets de voyage aérien, ferroviaire ou maritime : « Si vous prévoyez voyager au cours des semaines à venir, prenez votre rendez-vous pour vous faire vacciner dès maintenant », a prévenu un cadre supérieur au cours de la séance destinée aux médias, mercredi matin.

Car dès le 30 octobre, tous les passagers âgés de 12 ans et plus qui veulent monter à bord d’un aéronef, d’un train de VIA Rail ou d’un bateau, à l’exception de certains traversiers, devront être pleinement vaccinés. Il y aura un délai de grâce d’un mois, jusqu’au 30 novembre. Dans l’intervalle, les passagers pourront utiliser leur résultat de test moléculaire négatif comme laissez-passer.

« Si vous n’êtes pas encore vacciné et que vous souhaitez voyager cet hiver, laissez-moi être clair : il n’y aura que quelques exceptions extrêmement rares. Pour la très vaste majorité des gens, les règles sont très simples : pour voyager, il faut être vacciné », a résumé Justin Trudeau. Son gouvernement planche sur une politique visant les navires de croisière en vue de la reprise de la saison des croisières, en 2022.

Des députés possiblement pris à la maison

Les nouvelles règles sur les voyages s’appliquent également aux parlementaires : un député ou un sénateur qui doit prendre l’avion ou le train pour venir sur la colline d’Ottawa devra donc être pleinement vacciné.

Il s’agira possiblement d’un « enjeu » avec lequel les formations devront composer, à la veille de la rentrée. « Ils auront dans leurs rangs des députés qui ne pourront pas voyager par avion ou par train s’ils ne sont pas vaccinés, des députés qui mettront leurs collègues en danger dans cette salle vaste, mais sans fenêtres, de la Chambre des communes », a exposé le premier ministre.

Le Parti conservateur, qui n’a toujours pas voulu indiquer combien de ses 119 députés ont été adéquatement vaccinés, soutient les mesures « visant à assurer la sécurité des Canadiens et à stopper la propagation de la COVID-19 » et étudie « activement » le plan détaillé mercredi, a déclaré l’élue sortante Michelle Rempel Garner, par l’entremise d’un porte-parole du parti.

Le Bloc québécois lui donne le feu vert en ce qui a trait aux transports, mais veut avoir voix au chapitre pour le reste. « Nous sommes d’avis que le gouvernement devrait convoquer un comité parlementaire sur la volonté de rendre obligatoire la vaccination pour tous les employés de l’État, afin d’entendre les experts en condition de travail et en santé publique », a déclaré par écrit le député sortant Alain Therrien.

Le Nouveau Parti démocratique, pour sa part, réclame un passeport vaccinal pancanadien. « Cela permettrait aux gens de partout au pays d’avoir un seul document qui rendrait les visites aux restaurants ou les voyages à l’étranger faciles et accessibles », a plaidé le chef Jagmeet Singh.