Faudra-t-il recevoir une troisième dose de vaccin d’ici un an pour en augmenter l’efficacité, comme le préconisent les sociétés Pfizer et BioNtech ? La Presse a posé la question à des experts. Ceux-ci expriment des réserves.

S’il ne fait pas de doute qu’une dose de rappel assurerait une protection supplémentaire aux personnes déjà pleinement vaccinées, ils se demandent si c’est vraiment nécessaire, surtout dans un monde où bien des pays n’ont pas encore vacciné leur population.

« Je suis convaincue que cette troisième dose augmente les niveaux d’anticorps présents », affirme la Dre Caroline Quach-Thanh, pédiatre, microbiologiste-infectiologue, épidémiologiste et responsable de la prévention et du contrôle des infections au CHU Sainte-Justine.

« Toutefois, il reste à savoir si ce “boost’’ est nécessaire et, si oui, quand. Nous n’avons pas de corrélats de protection, soit un chiffre précis en deçà duquel on n’est plus protégé. Cette troisième dose pourrait être d’intérêt, en particulier pour les gens avec un système immunitaire plus faible, très vieux ou immunocompromis, et ces études sont en cours. »

Selon la Dre Quach-Thanh, « il faut regarder l’efficacité de terrain des deux doses de vaccin et voir si la protection contre les variants persiste, en particulier les cas sévères ».

« Commençons donc par avoir notre deuxième dose et considérons l’équité planétaire, dit-elle. Avant de donner une troisième dose aux gens des pays riches, donnons plutôt cette dose aux pays qui n’ont pas commencé ou si peu leur campagne de vaccination. Une protection mondiale, même moindre du point de vue de l’individu, aura des avantages indéniables pour la santé de la planète ; le principal étant la diminution du risque d’émergence de variants associé avec une transmission communautaire soutenue. »

Une opinion partagée par la Dre Marie-France Raynault, chef du département de médecine préventive et de santé publique du Centre hospitalier de l’Université de Montréal.

« La décision n’est pas mûre dans le sens où on n’a pas d’études cliniques qu’on peut scruter à la loupe pour voir si c’est vraiment nécessaire, explique-t-elle. On peut avoir une très bonne protection contre le virus même si les anticorps descendent tranquillement. »

La Dre Raynault estime elle aussi qu’il serait préférable de vacciner les pays où les vaccins n’ont pas encore été administrés pour éviter le développement de mutants.

Si on ne contrôle pas la pandémie un peu partout sur la planète, on risque de voir émerger un variant qui va échapper à l’immunité vaccinale et aux anticorps qu’on a faits en faisant la COVID.

La Dre Marie-France Raynault, chef du département de médecine préventive et de santé publique du CHUM

Benoit Barbeau, professeur au département des sciences biologiques de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et expert en virologie, croit également qu’il faut faire preuve de prudence.

« L’enjeu est de s’assurer qu’on met les efforts à la bonne place, dit-il. Je crois qu’on devrait miser sur une campagne de vaccination globale qui permet d’aller chercher un taux de vaccination élevé dans tous les pays, particulièrement ceux où la vaccination est très faible. »

Nécessité clinique d’une troisième dose

Le DGaston De Serres, épidémiologiste à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) et membre du Comité sur l’immunisation du Québec (CIQ), s’interroge par ailleurs sur la nécessité clinique de cette troisième dose.

« La hausse des niveaux d’anticorps après une troisième dose est intéressante, mais ce qui est important, c’est l’efficacité des vaccins [la protection observée] contre la COVID-19, note-t-il. Pour le moment, ces études montrent une très bonne efficacité après deux doses, même contre les variants préoccupants. »

Il ajoute que « le CIQ aura des discussions sur une troisième dose lorsqu’il y aura des données qui montrent une perte d’efficacité vaccinale avec le temps ou dans certains groupes de population ou contre certains variants et que l’ajout d’une troisième dose apporterait un bénéfice ».

André Veillette, chercheur en immunologie à l’Institut de recherches cliniques de Montréal, rappelle qu’il ne faut pas oublier que Pfizer et BioNetch sont « des vendeurs » qui ont des intérêts commerciaux. « Il va falloir voir c’est quoi leurs résultats et ce qui se passe dans la vraie vie, à savoir si deux doses des vaccins présents contre les variants vont être suffisants », signale-t-il.

« Et si on a besoin d’une troisième dose, je pense qu’il va falloir se demander si on devrait donner trois fois le même vaccin. On réalise que mélanger deux types de vaccin différents, c’est souvent plus bénéfique que d’utiliser tout le temps le même type de vaccins. »

Populations plus à risque

M. Veillette estime toutefois, comme d’autres experts, qu’une troisième dose pourrait être administrée, sans attendre, aux personnes très âgées et aux malades ayant un système immunitaire affaibli.

Le professeur-chercheur spécialisé en immunologie et virologie à l’INSPQ Alain Lamarre est de cet avis.

Je ne donnerais pas une troisième dose à la population en général. Il n’y a pas d’indication que ça va être requis parce que l’immunité semble quand même perdurer chez les gens en bonne santé et pas trop âgés. Je vois un avantage chez les populations plus à risque et qui ont un système immunitaire affaibli.

Alain Lamarre, professeur-chercheur spécialisé en immunologie et virologie à l’INSPQ

Nathalie Grandvaux, chercheuse au laboratoire de recherche sur la réponse de l’hôte aux infections virales du CHUM, croit aussi que l’injection d’une troisième dose est prématurée. « J’attendrais d’avoir des données pour voir si l’effet des deux doses finit par s’estomper à un moment ou à un autre », dit-elle.

« Focalisons sur le fait de donner la deuxième dose, insiste-t-elle. Les vaccins, avec deux doses, ont l’air de très bien marcher. Et d’un autre côté, on s’entend que la priorité, maintenant que nous, on va avoir d’ici peu nos deux doses, reste de vacciner le monde entier. »

Résultats encourageants de Pfizer et de BioNtech

Jeudi, Pfizer et BioNtech ont fait part de résultats encourageants des essais en cours pour une troisième dose du vaccin actuel. Les deux sociétés ont annoncé, dans un communiqué, qu’elles prévoient de demander sous peu une autorisation pour une dose de rappel de leur vaccin contre la COVID-19. « Des données préliminaires de l’étude montrent qu’une dose de rappel administrée six mois après la seconde dose a un profil de tolérance cohérent, tout en suscitant de hauts niveaux d’anticorps neutralisants » contre le coronavirus.

Un rappel administré six mois après la deuxième dose augmente de 5 à 10 fois la puissance des anticorps, ont-elles fait savoir, en ajoutant que l’efficacité du vaccin pourrait décliner six mois après la vaccination et que des doses de rappel pourraient s’avérer nécessaires pour se protéger des variants.

Vendredi, l’Union européenne a fait savoir qu’elle était « préparée » à l’éventualité d’une troisième injection contre la COVID-19. L’agence américaine des médicaments, la FDA, et les Centres de prévention et de lutte contre les maladies (CDC) disent de leur côté étudier la nécessité ou non d’un rappel.

« Au Québec, on a un historique de prendre nos propres décisions et de ne pas de suivre à la lettre les instructions du fabricant », rappelle la Dre Marie-France Raynaut.