(Québec) Les derniers mois ont été particulièrement « éprouvants » pour les sportifs québécois, mais aussi pour la ministre déléguée à l’Éducation, Isabelle Charest. L’ex-olympienne, qui est aussi responsable du loisir et des sports, ne cache pas que le jour où le Québec a mis le sport sur pause a été « l’un des pires de sa vie ».

« C’était contre nature, c’est complètement à l’encontre de la raison pour laquelle je suis venue en politique », lance en entrevue la ministre Isabelle Charest. Le 5 octobre dernier, alors que le Québec est frappé par la deuxième vague, elle annonce la fin des sports de groupe, dans le milieu scolaire et civil, et la fermeture des gyms.

Les entraînements de groupe, les matchs et les compétitions sont tous annulés en zone rouge, autant pour les sports que pour les loisirs.

« Je pense que ça se voyait dans mon non-verbal. Je comprenais tout à fait l’impact, l’ampleur de ce que ça représentait pour les jeunes et les parents. […] C’était probablement une des pires journées de ma vie », se remémore l’ex-athlète, rencontrée à quelques jours de la fin de la session parlementaire, en juin.

Ce deuxième confinement, à l’automne, ne survenait que quelques semaines après l’annonce de la reprise du sport parascolaire, à la mi-septembre. Le gouvernement Legault avait été critiqué pour ne pas avoir permis la reprise du sport à l’école au même moment que la rentrée scolaire. « Je le regrette », souffle avec humilité la ministre.

« La rentrée, c’était lourd. Tu amènes un million d’élèves sur les bancs d’école, alors le réflexe facile a été de dire : on va limiter les activités », relate Mme Charest, qui reconnaît l’incohérence des mesures établies à l’époque entre le sport civil et scolaire.

« Dans les faits, il n’y a pas eu un long délai, mais il y a quand même un certain nombre de semaines où on aurait pu reprendre plus rapidement. C’est peut-être le point qui me fatigue le plus. […] On s’est ajustés vite, mais malheureusement, la deuxième vague a fait en sorte que le sport scolaire a été limité », explique-t-elle.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Isabelle Charest, le 27 mai dernier, lors de l’annonce du déroulement du déconfinement du sport et des activités de loisir dans la province.

Québec a dévoilé le 2 juin son plan pour la rentrée scolaire 2021. Déjà, la reprise du sport parascolaire est au programme. Ce qui n’est pas étranger aux représentations de la ministre Charest. « Ça, c’était super important », argue-t-elle.

Un moment donné, il était question de faire la rentrée et d’attendre un peu [pour le sport]. J’ai dit : “non, il n’en est pas question”. Il faut reprendre en même temps et dans les mêmes contraintes, si contraintes il y a, que le sport civil.

Isabelle Charest, ministre déléguée à l’Éducation

Isabelle Charest sait bien que les décisions de la Santé publique et de son gouvernement n’ont pas toujours fait l’unanimité dans le monde sportif. Des milliers de Québécois, dont de nombreux adolescents, ont notamment manifesté devant le parlement en mars pour plaider en faveur de la reprise du sport.

Elle a aussi été la cible de critiques sur les réseaux sociaux. « C’est sûr que c’est difficile. On ne peut pas faire abstraction des commentaires. Par contre, au sein des partenaires, c’était très reconnu. […] Ils savaient le travail qui se faisait, les liens qu’on avait, et comment on voulait faire déboucher les choses », dit-elle.

« Challenger la Santé publique »

L’ex-patineuse de vitesse sur courte piste estime au contraire avoir pu sensibiliser la Santé publique aux mille et une réalités du monde sportif alors que les autorités sanitaires n’en avaient pas « une connaissance fine ».

« Au début, le discours de la Santé publique, c’était : “il n’y a pas de sport tout court”. J’ai dit : “ça ne marche pas comme ça. On est capables de mettre des mesures en place, et on a [dans le sport] des gens extrêmement rigoureux” », soutient-elle.

La triple médaillée olympique et ex-cheffe de mission pour le Canada aux Jeux de PyeongChang croit d’ailleurs que son expérience a eu une influence sur les paramètres sanitaires imposés aux sportifs. « La connaissance que j’avais faisait en sorte que j’étais capable de challenger la Santé publique », assure Mme Charest.

Par exemple, pour le hockey, c’était de rappeler qu’il n’y a pas juste les matchs, qu’il y a aussi l’entraînement sur glace et hors glace. Pour plein de disciplines, il y a plein de choses qui ont pu être faites. Les athlètes ont pu être actifs toute l’année. Je ne m’arrêtais pas au premier non.

Isabelle Charest

Parmi ses meilleurs coups, elle note par ailleurs être arrivée à faire sortir la Santé publique du « spécifique » alors que l’on prenait chaque sport de façon individuelle lors de la première vague. « Ce qu’on faisait valoir, c’est : “donnez-vous les balises et nous autres, on va les mettre en place. Les organisations vont être capables” », rapporte la députée de Brome-Missisquoi.

La ministre Charest confie avoir eu l’appui du cabinet du premier ministre pour arriver à faire bouger les jeunes le plus possible pendant la pandémie. « C’était essentiel, relate-t-elle. On a toujours poussé le plus qu’on pouvait la Santé publique […], mais évidemment, on n’allait pas à l’encontre de leurs recommandations. »

Des craintes pour l’avenir

Pour la suite, Isabelle Charest dit craindre que le taux de décrochage dans le sport augmente, particulièrement chez les adolescentes. « C’est la clientèle qui me fait le plus peur », précise-t-elle. La pandémie laissera des traces chez les jeunes. Elle s’inquiète que des jeunes ne retournent pas aux sports après une année « sans bouger ».

« Les adultes se sont beaucoup tournés vers l’activité sportive pendant la pandémie. On n’a pas constaté ça autant chez les jeunes. C’est un signal important pour les familles : il faut que les jeunes réapprennent à jouer dehors », souligne la mère de deux ados.

Le plan du gouvernement Legault pour la réussite éducative « au-delà » de la pandémie s’accompagne d’investissements pour faire bouger davantage les jeunes à l’école, dont 6 millions pour tenir des sorties éducatives en plein air dans le cadre de « classes nature ». Québec a aussi lancé un plan d’aide de 70 millions pour soutenir les fédérations et les organismes dont la santé financière a été mise à mal par la pandémie.

Vague de féminicides

Impossible de tracer le bilan des derniers mois sans aborder la vague de féminicides présumés qui secoue le Québec depuis janvier. « Ça dépasse l’entendement, c’est fou », déplore Isabelle Charest, également ministre responsable de la Condition féminine. Elle explique que son ministère est « en contact très direct » avec les organismes de lutte contre la violence conjugale depuis le début de la pandémie. « On savait que ça allait venir », ajoute-t-elle, faisant allusion à la hausse des signalements de violence conjugale.

Le dernier budget Girard a été fortement critiqué par les maisons d’hébergement alors que le gouvernement Legault avait annoncé des investissements de 22,5 millions jusqu’en 2026 spécifiquement pour rehausser leurs services. Des sommes comparées à « des miettes » par les organismes. Québec a rectifié le tir en débloquant 223 millions supplémentaires sur cinq ans.

Le premier ministre a aussi affirmé vouloir s’impliquer « personnellement » dans le dossier et a confié le mandat de coordonner la mise en œuvre des mesures à la vice-première ministre Geneviève Guilbault. Un geste que la ministre Charest est loin de percevoir comme un désaveu. « Pas du tout. Je le vois plutôt comme le fait qu’on vient me donner plus de moyens. […] Je suis une fille d’équipe, on a une responsabilité partagée, et je le vois de façon positive », a-t-elle dit.