Québec ne resserrera pas l’étau du confinement et maintiendra ses allègements aux restrictions sanitaires lors de sa conférence de presse de mardi, a révélé le directeur national de santé publique, le DHoracio Arruda, en entrevue avec La Presse. À ceux qui s’inquiètent de la hausse des cas de COVID-19 provoquée par les variants, il a ce message : « Il ne faut pas paniquer ».

Le DArruda fera le point avec le premier ministre François Legault à 13 h ce mardi. Aucun changement ne sera annoncé aux règles du confinement en ce début de troisième vague de la pandémie, même si des experts et le Collège des médecins demandent à Québec de serrer la vis.

« Les variants, on savait que ça augmenterait. Au secondaire, en ramenant les 3-4-5 [en classe à temps plein], on savait que ça augmenterait le nombre de cas. Tout ça, c’est comme planifié », affirme le DArruda.

« Même si j’ai 2000 cas au Québec, mais qu’on n’a pas d’hospitalisations ou de décès de façon importante, on peut vivre avec. C’est sûr qu’on va avoir, comme les personnes âgées sont protégées, des gens de votre âge qui peut-être vont se retrouver aux soins intensifs et mourir, ce qui est horrible. Mais en même temps, est-ce que de serrer tout et que les gens fassent [des choses] en cachette, c’est mieux ? », lance-t-il.

Pour lui, avant de remettre en question les allègements ou de resserrer l’étau, « il faut attendre de voir ce qu’on a fait et voir comment la population se comporte ». « Les lieux de culte, c’est un problème surtout si on fait un souper avant, un souper après. Les gyms, c’est un problème si on ne respecte pas les consignes », illustre-t-il.

J’ai confiance aux Québécois, mais il faut que les gens comprennent que le pacte social qu’on a pris d’alléger (les consignes), il est majeur. Si vous n’écoutez pas les consignes, on est dans le trouble.

Le DHoracio Arruda

Québec se ravisera « si on commence à avoir des indices comme quoi on va avoir un système de santé qui va déborder », indique-t-il.

Il maintient le bien-fondé des assouplissements des dernières semaines. « Il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas seulement la COVID-19. Il y a des jeunes qui ont des problèmes de santé mentale, il y a des femmes battues, il y a des jeunes qui vont peut-être décrocher beaucoup plus qu’on ne le pense. Nous, on doit regarder les maladies infectieuses, mais on doit aussi regarder ces éléments-là. Je pense que si on veut garder un certain équilibre, c’est important d’alléger. Parce que sinon, les gens, de toute façon, vont faire des affaires en cachette. » Il plaide qu’« il n’y a pas si longtemps, les gens capotaient et tout le monde demandait à ce qu’on relâche ».

« Je tiens à vous dire très honnêtement qu’actuellement, on travaille main dans la main avec le gouvernement. On a aussi peur tout le monde, mais en même temps, il ne faut pas paniquer. C’est comme s’il faut savoir ce qu’on fait, mais ne pas paniquer. La panique est très mauvaise conseillère. »

Des experts estiment toutefois que Québec doit reconsidérer le déconfinement. « Dans ma tête, il n’y a aucun doute qu’on devrait resserrer la vis. Dans trois semaines, il sera trop tard », affirme le DOlivier Drouin, clinicien chercheur au CHU Sainte-Justine et professeur associé à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

« Le déconfinement progressif qu’on avait entamé a été fait trop tôt. Il n’y avait pas assez de population vaccinée. […] On a quelques semaines critiques devant nous. On ne veut pas reconfiner. Mais on ne veut pas non plus avoir des hôpitaux débordés et des opérations délestées », affirme Maude Laberge, professeure d’économie de la santé à la faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval et chercheuse en santé des populations et pratiques optimales en santé au Centre de recherche du CHU de Québec.

Après le Collège des médecins samedi, c’était au tour de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec de demander lundi après-midi au gouvernement de « reconsidérer sa position quant à l’allègement des mesures sanitaires ».

De passage lundi à Montréal, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé n’a pas écarté la possibilité d’ajuster les assouplissements si l’adhésion aux consignes sanitaires n’était pas au rendez-vous. « L’adhésion aux mesures, c’est notre plus grand défi. Mais il faut penser à la santé mentale des gens. C’est un équilibre, et si on constate que c’est trop risqué, on s’ajustera », a-t-il dit.

Crainte d’une accélération du délestage

Président de l’Association des spécialistes en médecine interne du Québec, le DHoang Duong souligne que la troisième vague est déjà visible dans certains hôpitaux du Québec. À son hôpital, Pierre-Le Gardeur, le nombre de patients atteints de la COVID-19 aux soins intensifs est passé de 3 à 10 la semaine dernière seulement.

La situation est très tendue déjà. Et ces patients sont plus jeunes. Dans la cinquantaine.

Le DHoang Duong, président de l’Association des spécialistes en médecine interne du Québec

Président de l’Association des médecins hématologues et oncologues du Québec, le DMartin Champagne craint que cette troisième vague ne fasse augmenter à nouveau le délestage d’interventions chirurgicales. En date du 23 mars, la proportion d’opérations reportées dans les hôpitaux s’élevait à 29 % (15 % si on inclut les opérations réalisées en cliniques privées). « On n’était pas encore capables de rattraper les retards. Et la troisième vague va compliquer encore plus les choses », dit-il.

Le DChampagne explique que le fait que les patients atteints soient plus jeunes durant la troisième vague pourrait avoir des impacts. Entre autres parce qu’ils pourraient être nombreux à séjourner plus longtemps aux soins intensifs, puisque toutes les chances seront laissées au traitement. Le risque de voir les soins intensifs déborder rapidement est bien réel. Avec des soins intensifs trop occupés, il sera difficile d’augmenter le nombre d’interventions chirurgicales réalisées. « C’est dommage, parce qu’on s’organisait pour rattraper les retards en chirurgie. C’est préoccupant », ajoute le DDuong.

Un recul difficile

La semaine dernière, le DHoracio Arruda affirmait qu’il voulait éviter « de jouer au yoyo » au Québec alors que certaines régions, nouvellement tournées en orange, affichaient des hausses soudaines de cas.

Roxane de la Sablonnière, professeure au département de psychologie de l’Université de Montréal, explique que cette valse entre confinement et déconfinement, aussi appelée « effet yoyo », est difficile. Car pour être suivies, des règles doivent être « claires et cohérentes entre elles et dans le temps ».

Toutes ces décisions ne sont pas faciles à prendre pour le gouvernement. Mais si une incohérence est perçue par la population, le gouvernement doit expliquer clairement ses décisions.

Roxane de la Sablonnière, professeure au département de psychologie de l’Université de Montréal

Mme de la Sablonnière mène depuis le début de la pandémie une étude sur l’adhésion aux mesures sanitaires.

Maude Laberge rappelle qu’en Europe, le déconfinement et la présence de variants ont « contribué à la croissance exponentielle des cas et à un reconfinement ». « Sur les entreprises, ces valses entre ouvertures et fermeture ont plus d’impact que de rester fermées plus longtemps, mais de pouvoir rester ouvertes à long terme », dit-elle.

Pour le DDrouin, chercheur en science comportementale, il n’y a pas de réel problème sur le plan de la santé publique à « faire du yoyo » et à « ajuster les mesures en fonction du niveau de maladie dans la communauté ». « Mais le vrai danger, c’est de mêler le monde. Que la population se tanne et choisisse de suivre seulement certaines mesures », dit-il.

Selon le DDrouin, il y a déjà une « déconnexion » entre le fait que le gouvernement reconnaisse d’une main que la province est dans une troisième vague tout en continuant de l’autre à poursuivre ses mesures de déconfinement. Le DDrouin reconnaît qu’il peut être « politiquement difficile de reculer ». Mais « même si la pilule sera plus dure à avaler pour la population », le DDrouin affirme que sur le plan de la santé publique, il « n’y a aucun doute qu’il faut reculer sur certaines mesures ».

Le DChampagne dit comprendre « que les gens soient tannés […] mais déconfiner dès qu’on a une accalmie, je ne la comprends pas ». Le DChampagne rappelle que les variants sont « beaucoup plus contagieux » et, selon lui, « il n’y a pas de raisons de croire qu’on est plus fins que l’Europe », où plusieurs pays sont touchés fortement par la troisième vague.