Il n’y a pas que l’économie du Québec qui a été mise « sur pause » en mars 2020. La partisanerie politique aussi. Trois acteurs de premier plan des partis de l’opposition – Manon Massé, Pascal Bérubé et Pierre Arcand – reviennent sur un épisode de collaboration inédit dans l’histoire de la politique québécoise.

(Québec) Chercher sa place en temps de crise

En une fraction de seconde, tout s’arrête. La crise ferroviaire en appui à la nation wet’suwet’en semble appartenir au passé. Le budget du Québec, déposé un mardi, a l’air périmé. La période de questions, abonnée aux effets de toge, prend un ton solennel.

Mars 2020. Le Québec, comme partout ailleurs, n’est pas épargné par la pandémie de COVID-19. Un premier cas positif au virus – « le coronaquoi ? » – a été confirmé quelques jours avant. Les images qui arrivent de Chine et d’Italie font craindre le pire.

À l’Assemblée nationale, les activités se déroulent comme à l’habitude. Mais les élus comprennent que la crise frappera. Un tsunami qui changera aussi la façon de faire de la politique. Du moins pour quelques mois.

Une rencontre au sommet

Le cabinet de François Legault convoque les chefs de l’opposition à une rencontre importante. Elle sert à présenter les bases de ce qui deviendra « le Québec sur pause ». Manon Massé, co-porte-parole de Québec solidaire, se souvient d’un moment où « il n’y avait rien de rassurant ».

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Manon Massé, co-porte-parole de Québec solidaire

Elle rejoint ses collègues dans une grande salle adjacente à l’édifice du Conseil exécutif. Assise dos aux fenêtres, autour d’une grande table en bois, la cheffe du deuxième groupe d’opposition regarde le premier ministre. Ses yeux, surtout. « Je comprends tout de suite que oh my God, ça vient d’arriver. »

Pascal Bérubé connaît bien M. Legault. En 2000, il était stagiaire à son cabinet au ministère de l’Éducation, et est ensuite devenu conseiller politique. « Je le connais assez pour sentir son humeur et j’ai senti le poids de la responsabilité. Pour qu’un premier ministre décide de fermer le Québec de cette façon, il fallait que les indicateurs soient sérieux », affirme celui qui occupait l’hiver dernier le poste de chef intérimaire du Parti québécois.

Après la rencontre, François Legault entame des points de presse quotidiens. Le Québec, un secteur à la fois, se confine. Jusqu’au moment où même l’Assemblée nationale suspend à son tour ses travaux, le 17 mars. Ils ne reprendront que le 13 mai suivant.

« La seule chose qu’on a demandée, c’était d’avoir un lien direct, sur une base régulière, et d’être capables de communiquer tous nos cas de comté. M. Legault était très content de ça », affirme Pierre Arcand, qui était aux commandes du Parti libéral pendant la première vague d’infections.

« L’équipe Québec »

Le Parlement fermé, les députés rentrent dans leurs circonscriptions. Ils y retrouvent des employés déjà débordés par des avalanches d’appels de citoyens.

« Mon staff travaillait 12 heures, 15 heures par jour. Les gens vivaient du stress, de la détresse. Il y avait beaucoup de questions », se rappelle Manon Massé.

« Les premières heures étaient sombres. On était vraiment dans une situation où on ne savait pas de quoi serait fait le lendemain », ajoute Pascal Bérubé, qui ne verra pas sa conjointe – l’animatrice Annie-Soleil Proteau, qui travaille à Montréal – pendant trois mois.

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Pascal Bérubé occupait l’hiver dernier le poste de chef intérimaire du Parti québécois.

Les députés mettent en place le système de la « troisième ligne ». Ils acheminent les questions récurrentes de citoyens au whip du gouvernement, qui leur revient avec des réponses.

Pierre Arcand prévient ses troupes.

Il va falloir qu’on soit vraiment en mode collaboration à ce moment-là. On n’a pas le choix. La population ne nous pardonnera pas de commencer à faire de la politique au moment où c’est aussi grave.

Pierre Arcand

« Le moment où il y a eu le moins de politique, c’est le premier mois et demi de la crise. On était dans la même équipe. On avait un adversaire invisible. C’est quelque chose d’unique que je n’avais jamais vécu en politique », se rappelle-t-il.

La cellule de crise

Au téléphone, les trois chefs de l’opposition et le premier ministre se parlent de façon bihebdomadaire. François Legault les informe des annonces qu’il donne la journée même. Eux, en retour, lui donnent accès à ce qui se vit sur le terrain, partout sur le territoire.

Avec le recul, Pascal Bérubé estime que la formule servait le gouvernement. « Il recevait en circuit fermé nos critiques et pouvait s’ajuster. Il recevait en circuit fermé nos meilleures idées et il pouvait les appliquer. »

« Il était hasardeux d’émettre des critiques sur la place publique ou même de questionner le gouvernement. Les journalistes en savent quelque chose. Mais je suis convaincu que les questions que nous avons posées ont rendu le gouvernement meilleur et plus efficace », ajoute-t-il.

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Pierre Arcand était aux commandes du Parti libéral pendant la première vague d’infections.

« Il avait besoin de notre formation politique. La plupart de nos députés sont de la région de Montréal et de Laval, et c’était là qu’il y avait les cas les plus importants », affirme Pierre Arcand.

Le retour des questions

Manon Massé constate à son tour les limites de la formule des premières semaines. « La démocratie, ça ne peut pas disparaître. Et je pense qu’on a été un mois où on n’existait plus pantoute. On existait, mais derrière une porte close. »

Pendant les appels, la co-porte-parole solidaire sensibilise le premier ministre à la situation des évictions de locataires. À la réalité des gens qui sont forcés de s’absenter du travail, alors qu’ils vivent « au bout du chèque » de paie.

« Il ne faut pas éteindre la démocratie. Et par démocratie, je ne parle pas de politicaillerie. Quand on a soulevé à un moment que c’était important que les propriétaires ne puissent pas évincer de locataires, c’était important que quelqu’un le dise », dit-elle.

« Notre job n’est pas accessoire. On porte une parole. François Legault a été élu par moins de personnes que le nombre d’électeurs des trois autres partis réunis », ajoute la solidaire. Une remarque que font tour à tour les autres chefs de l’opposition.

« Pour mettre le parlementarisme sur pause, ça prend vraiment des raisons exceptionnelles. Je pense que les citoyens s’en sont accommodés ce printemps, mais je suis convaincu que nos questions contribuent à ce que le gouvernement soit meilleur », affirme Pascal Bérubé.

« C’est le rôle de l’opposition, mais il faut cibler nos batailles avec le gouvernement. On a un rôle à jouer, mais les gens apprécient quand les politiciens travaillent ensemble », croit Pierre Arcand.

La pandémie en quelques citations marquantes

Aplatir la courbe, « envoye à maison » ou soyez « dociles ». Plusieurs déclarations du fameux point de presse quotidien du gouvernement Legault ont marqué l’imaginaire collectif depuis le début de la pandémie. Retour sur quelques citations marquantes du printemps.

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La crise va durer des mois.

François Legault, 12 mars 2020

François Legault ne pensait jamais si bien dire. Il prononce ces mots lors de sa première conférence de presse de la salle Evelyn-Dumas, sur la colline Parlementaire. Il annonce l’interdiction des rassemblements intérieurs de plus de 250 personnes. Deux jours avant pourtant, son gouvernement présentait son budget en réunissant dans un huis clos des centaines de personnes à Québec. C’est d’ailleurs le 12 mars qu’il s’installe bien aux commandes. Il fait savoir qu’il fera désormais lui-même « le point avec les Québécois » tous les jours. Le rendez-vous de 13 h devient un incontournable. Ce bilan quotidien – que l’on surnomme « District 13 » – a réuni jusqu’à 2,7 millions de téléspectateurs, dépassant les cotes d’écoute de la populaire émission de Luc Dionne.

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Aplatir la fameuse courbe.

Horacio Arruda, 13 mars 2020

Vendredi 13. L’OMS a déclaré la pandémie mondiale deux jours plus tôt. Le directeur national de la santé publique, le DHoracio Arruda, devient un visage familier. Il vulgarise des concepts scientifiques qui font maintenant partie du jargon populaire. On apprend au passage à découvrir un personnage coloré. Personne n’a oublié sa gestuelle où il s’acharne à « aplatir la courbe » de la première vague. Pour y arriver, il faut « tester, tester, tester » et « se laver les mains » répétera-t-il ad nauseam. Mais le Québec n’a pas une capacité de dépistage suffisante. Les cliniques seront rapidement débordées.

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Ça va être les vacances.

Jean-François Roberge, 13 mars 2020

Toujours ce même vendredi 13. Québec annonce la fermeture des écoles, cégeps, universités et les services de garde pour deux semaines. Le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, accompagne le premier ministre. Est-ce que les enfants doivent faire l’école à la maison ? « Ça va être les vacances », répond le ministre. Il regrettera ses propos alors que l’implantation de l’école à distance connaîtra des ratés.

Envoye à maison !

François Legault, 19 mars 2020

François Legault cite Jean-Pierre Ferland pour inciter les personnes « de 70 ans et plus » à rester chez elles alors que certaines d’entre elles résistent à l’appel des autorités. Deux jours plus tôt, Québec leur demandait de s’isoler complètement. Finies les sorties au centre commercial ou à l’épicerie pour ce groupe plus vulnérable au virus. Mais les paroles de Ferland, M. Legault les adressera à toute la population à peine quatre jours plus tard. Le gouvernement Legault mettra le Québec en entier sur pause pendant trois semaines.

On en a pour trois à sept jours.

François Legault, 31 mars 2020

Sur le champ de bataille, les travailleurs de la santé commencent à manquer d’équipements de protection individuelle (EPI). C’est le branle-bas pour remplir les entrepôts de masques N95 (qui seront même mis sous clé dans les hôpitaux), de masques d’intervention, de gants et de blouses de protection. « Ça joue dur », de l’aveu même du premier ministre, pour mettre la main sur le matériel alors que la planète entière se l’arrache. Des images et témoignages des travailleurs révèlent la précarité de la situation et l’absence d’EPI. M. Legault maintient que le Québec n’a jamais manqué d’équipements et que ces situations étaient plutôt liées à des problèmes de distribution.

Personne ne veut jouer à Jojo Savard.

Horacio Arruda, 6 avril 2020

La pandémie prend de la vitesse à Montréal. Les voix se multiplient pour que le gouvernement rende publiques des projections de l’évolution de la pandémie. La pression s’accentue et la Santé publique dévoile le 7 avril de premiers scénarios selon lesquels il y aurait de 1263 à 8860 morts au Québec d’ici le 30 avril. La veille, le DArruda déclare que « personne n’a le goût de présenter ces scénarios » ni de « jouer à Jojo Savard ». Il faudra aussi des demandes répétées pour que Québec diffuse une liste des CHSLD et résidences privées pour aînés touchés par la COVID-19 alors que des proches sont laissés sans nouvelles.

Je ne suis pas fier.

François Legault, 11 avril 2020

C’est l’hécatombe dans les CHSLD du Québec. Les Québécois saisissent l’ampleur de la crise lorsque le Montréal Gazette révèle les conditions horribles des résidants du CHSLD privé Herron, à Montréal, où plus de 50 aînés sont morts pendant la première vague. La crise exacerbe les problèmes connus des CHSLD : la pénurie de préposés, des bâtiments vétustes et des mécanismes de prévention et contrôle des infections (PCI) déficients. François Legault et sa ministre responsable des Aînés, Marguerite Blais, prendront une part de responsabilité pour le drame des CHSLD.

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Si on est dociles […] on va réussir.

Geneviève Guilbault, 29 avril 2020

Au printemps, la vice-première ministre et ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, relève le premier ministre à l’occasion pour faire le point sur l’évolution de la pandémie. Alors que les beaux jours approchent, il ne faut pas que la population baisse la garde. Mme Guilbault appelle les Québécois à « être dociles » pour que l’on puisse battre la pandémie. Une maladresse qui a retenu l’attention pour les mauvaises raisons à l’heure où des manifestations « antimasques » et contre les mesures sanitaires se profilent à l’horizon.

Engagez-vous !

François Legault, 28 mai 2020

Les membres du personnel soignant infectés ou absents en raison de la COVID-19 se comptent par milliers. Le gouvernement Legault, qui a lancé maints appels pour « trouver des bras » dans les CHSLD, n’arrive pas à combler le manque. Le déploiement de 1000 militaires des Forces armées canadiennes donne de l’oxygène aux travailleurs sur le terrain, mais François Legault sait bien que leur présence n’est que temporaire. En mai, il lance une formation accélérée et rémunérée pour recruter 10 000 préposés aux bénéficiaires. Quelque 8106 candidats ont terminé leur formation à ce jour, 7666 travaillent toujours dans le réseau.