Tous les jours, une vingtaine d’ambulances de la CETAM parcourt un territoire de 2700 km2 sur la Rive-Sud de Montréal. Depuis le début de la pandémie, les paramédicaux de cette entreprise, qui se déplacent de Rigaud à Longueuil en passant par Brossard et Saint-Lambert, voient leur quotidien passablement chamboulé. La Presse a passé une journée avec eux.

Dans le froid glacial du jeudi 28 janvier, les paramédicales Valérie Roy et Véronique Crevier sont appelées à transporter une personne âgée habitant dans une résidence privée pour aînés de Longueuil. La dame a la COVID-19 et peine à respirer.

« Éclosion en cours », peut-on lire sur une affiche bien visible sur la porte extérieure de l’édifice. Avant d’entrer, les paramédicales doivent donc prendre leurs précautions. À l’intérieur, tout doit être considéré comme contaminé.

Paramédical et relationniste à la Coopérative des techniciens ambulanciers de la Montérégie (CETAM), Alexandre Barbeau explique que pour tout cas de COVID-19, une blouse d’hôpital longue (« jaquette ») doit être enfilée ainsi qu’une paire de gants courts et une paire de gants longs par-dessus.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Les paramédicales Valérie Roy et Véronique Crevier sont appelées à transporter une personne âgée d’une résidence privée pour aînés de Longueuil vers l’hôpital Charles-Le Moyne.

En fonction de l’état du patient, un masque P-100, plus performant que le simple masque d’intervention, est porté. Les ambulanciers y ont recours notamment si le patient tousse ou si des interventions générant des aérosols doivent être réalisées.

Alexandre Gervais, aussi paramédical et relationniste à la CETAM, explique que transporter des patients atteints de la COVID-19 est plus compliqué pour les équipes.

Il y a les protections à prendre. Ça entraîne plus de stress. On ne veut pas rapporter ça chez soi…

Alexandre Gervais, paramédical et relationniste à la CETAM

Direction l’hôpital

Après avoir connu une forte hausse au retour des Fêtes, le nombre de transports de patients atteints de la COVID-19 a diminué en janvier sur le territoire de la CETAM. Mais les cas occupent tout de même les équipes. Les patients infectés sont souvent essoufflés, très fatigués, ou voient leur état général se dégrader. « C’est une maladie maudite. Ça déjoue tous nos tableaux cliniques », constate M. Barbeau, qui explique que la COVID-19 peut par exemple se cacher derrière un patient qui présente des symptômes de gastro.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Valérie Roy et Véronique Crevier déplacent la patiente sur une civière en direction du triage de zone rouge à l’hôpital Charles-Le Moyne.

Au bout de quelques minutes passées à l’intérieur de la résidence pour aînés de Longueuil, Valérie Roy et sa collègue ressortent avec leur patiente. La dame est somnolente et emmitouflée dans une immense couverture.

Avant de partir, Valérie Roy se dévêt précautionneusement. Elle met ses vêtements sales dans une poche identifiée à cette fin. Et elle ne touche que les portes de droite de l’ambulance afin que la désinfection soit moins longue par la suite. Au chevet de la patiente, Véronique Crevier reste habillée pour le trajet vers l’hôpital Charles-Le Moyne. Au volant, Valérie Roy peut retirer son masque. Parce que la ventilation dans le cubicule du conducteur est isolée de celui où est installée la patiente.

Cinq ambulances sont stationnées dans leur espace réservé à l’hôpital Charles-Le Moyne. Valérie Roy se gare et se rhabille avant d’aller chercher la patiente qu’on roule sur civière au triage rouge. Au bout de quelques minutes, les paramédicales ressortent avec leur patiente et pénètrent à nouveau dans l’hôpital par la porte réservée aux patients ayant la COVID-19.

Une fois la patiente prise en charge aux urgences, les paramédicales peuvent passer à un autre appel.

Mais avant, elles doivent se déshabiller en veillant à se désinfecter soigneusement les mains à chaque étape. Et à désinfecter leur matériel.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Valérie Roy désinfecte le matériel après un transport à l’hôpital Charles-Le Moyne.

Pour les aider, la CETAM a acheté des fusils à peinture, qui servent comme brumisateurs et aident à désinfecter les moindres recoins des civières. L’opération désinfection prend une quinzaine de minutes. Puis les paramédicales repartent.

En temps normal, des superviseurs de la CETAM sont sur la route pour épauler les équipes. Notamment en cas d’arrêt cardiaque ou pour apporter du matériel supplémentaire quand il en manque. Mais depuis le début de la pandémie, ils supervisent aussi occasionnellement les équipes qui transportent les cas de COVID-19. « On aide pour l’habillage et le déshabillage. Pour être certains qu’aucune étape n’est oubliée », explique M. Gervais.

Laisser ses bottes au bureau

Vers 10 h, une autre dame atteinte de la COVID doit être transportée de son immeuble d’habitation de Longueuil à l’hôpital Charles-Le Moyne. Et peu avant midi, une patiente souffrant de nausée, d’étourdissements et de faiblesse doit être transportée de son petit bungalow à l’hôpital. Aucun diagnostic de COVID-19 n’est établi pour elle. « Mais les paramédicaux n’ont pas pris de risques et ont mis la blouse », explique M. Barbeau.

Pour plusieurs paramédicaux, la crainte de ramener le virus à la maison est bien présente. En plus des mesures strictes lors des interventions, chacun a développé ses trucs pour éviter cette transmission.

M. Barbeau laisse ses bottes de travail au boulot et met sa boîte à lunch dans un bac et l’asperge de désinfectant en arrivant à la maison. M. Gervais prend quant à lui systématiquement sa douche à la caserne avant de rentrer.

Depuis le début de la pandémie, 36 paramédicaux sur les 430 de la CETAM ont été infectés par la COVID-19. « C’est peu. Ça montre que nos mesures fonctionnent », note M. Barbeau.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

La paramédicale Valérie Roy ajuste son masque de protection.

La grande majorité du temps, les patients transportés par les paramédicaux portent le masque et respectent les mesures de protection. Mais devant un patient qui refusait catégoriquement de porter le masque, M. Gervais est allé enfiler un P100 avant d’accepter d’embarquer avec lui dans l’ambulance. « Je lui ai dit : “Si vous ne voulez pas me protéger, je vais me protéger moi-même.” »

Sur le terrain, plusieurs éléments frappent les paramédicaux depuis le début de la pandémie. Notamment la hausse des patients en détresse psychologique. Le tout ne transparaît pas nécessairement dans les données officielles : le nombre d’appels pour troubles de santé mentale n’augmente pas.

Des fois, un appel entre pour un patient avec des problèmes respiratoires, mais au fond, c’est une crise d’anxiété. Nous, sur le terrain, on trouve que ça augmente.

Alexandre Gervais, paramédical et relationniste à la CETAM

Durant la journée, trois appels pour des tentatives de suicide apparaîtront sur les écrans des paramédicaux de la CETAM.

Avec les mesures de confinement, le nombre général d’appels de la CETAM est légèrement en baisse, ces derniers mois. Il y a moins d’accidents de voiture. Tout tourne au ralenti. Seule exception : le premier soir du couvre-feu en janvier, alors que les citoyens ont été nombreux à appeler le 911 pour demander un transport vers l’hôpital, croyant qu’ils n’avaient plus le droit de s’y rendre par eux-mêmes.

Même si le nombre d’appels diminue, la charge de travail des paramédicaux n’est pas nécessairement allégée. « Les appels sont plus longs avec les mesures de protection », résume M. Barbeau.

Un arrêt cardiaque imprévu

Peu après le dîner, le paramédical Éric Bonin est dans le garage de la caserne de la CETAM et désinfecte son matériel. Il semble secoué. Quelques minutes plus tôt, il a été appelé chez un patient présentant des maux de ventre depuis trois jours. Sur place, l’homme fait un arrêt cardiaque devant lui.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Le paramédical Éric Bonin est dans le garage de la caserne de la CETAM et désinfecte son matériel.

« On n’est pas habillés. Pas de P100. Pas de blouse. On n’est pas là pour ça ! On lui parle ! Il a mal au ventre. Ça fait trois jours », témoigne le paramédical. En un instant, l’intervention d’Éric Bonin change du tout au tout et il doit réanimer l’homme en arrêt cardiaque.

Puisque le paramédical ignore si le patient a ou non la COVID-19, la procédure veut qu’il retourne à son ambulance, mette ses équipements de protection, et retourne procéder à la réanimation. Mais dans le feu de l’action, aux côtés de la femme du patient qui était sous le choc, le paramédical et son coéquipier ont préféré agir sur-le-champ. « On a massé avec les protocoles d’intubation à circuit fermé pour ne pas avoir de contaminants […]. »

On a fait comme si c’était notre grand-père, notre grand-mère qui était là. On a continué l’intervention.

Éric Bonin, paramédical à la CETAM

« La procédure dit officiellement qu’il faudrait normalement redescendre s’habiller avant de donner des soins. Mais il n’y a pas un paramédical qui va vouloir faire ça. En nous, on veut aider », affirme M. Gervais.

Ce n’est qu’une fois à l’hôpital qu’Éric Bonin et son partenaire ont appris qu’il était inscrit au dossier du patient qu’il ne souhaitait pas de réanimation. Les manœuvres ont cessé. À la caserne, l’émotion d’Éric Bonin est palpable alors qu’il asperge sa civière de désinfectant. Mais pas le temps de trop y penser. Il doit retourner sur la route. « Ça fait partie du travail. Là, on est dans le ménage », dit-il.