La décision du ministère de la Santé et des Services sociaux de faire passer de 42 à 90 jours le délai acceptable entre les deux doses du vaccin contre la COVID-19 a suscité de vives réactions, mais les experts contactés par La Presse ne s’inquiètent pas outre mesure. Ils soulignent que ce n’est pas la première fois qu’un calendrier de vaccination est modifié.

« Si on avait eu assez de doses pour vacciner tous les groupes à risque avec la deuxième dose à 21 jours, on ne se serait jamais posé la question. La difficulté, c’est qu’on est en pénurie de doses », explique la Dre Caroline Quach, présidente du Comité consultatif national de l’immunisation (CCNI).

La pénurie annoncée de doses a donc amené le gouvernement à ne pas suivre les recommandations des manufacturiers à la lettre.

« La façon facile, c’est de dire qu’on vaccine selon [les directives du] manufacturier [soit avec un écart de 21 jours pour le vaccin de Pfizer-BioNTech, de 28 jours pour celui de Moderna]. Personne ne va vous poursuivre. L’autre, c’est de dire : dans le cadre où on est, est-ce qu’on ferait mieux de vacciner plus de gens ? », analyse le DMarc Lebel, pédiatre infectiologue au CHU Sainte-Justine.

Québec a annoncé le 14 janvier qu’il permettait l’élargissement de la fenêtre entre les deux doses jusqu’à 90 jours pour prioriser la vaccination du plus grand nombre de personnes à risque plutôt que de donner une deuxième dose dans les temps prescrits à ceux qui ont déjà été vaccinés.

Cette décision prise par le ministère de la Santé et des Services sociaux faisait suite aux recommandations du Comité d’immunisation du Québec (CIQ), qui estimait l’efficacité des vaccins de Pfizer et Moderna autour de 90 %, 14 jours après la première dose.

Le chiffre de 90 jours a été déterminé par le ministère de la Santé, et non par le CIQ, qui ne précise pas de délai maximal avant d’administrer la deuxième dose. Ce délai permet de commencer à administrer les deuxièmes doses au mois d’avril, où une livraison additionnelle de 20 millions de doses des deux vaccins doit commencer à arriver au Canada.

Pas la première fois qu’un calendrier est modifié

Ce n’est pas la première fois que le Comité d’immunisation du Québec (CIQ) recommande la modification d’un calendrier de vaccination.

Je ne dirais pas que le Québec est cowboy, mais le Québec est souvent précurseur des changements en vaccination. Le CIQ est souvent en avance par rapport aux autres [provinces].

Le DMarc Lebel, pédiatre infectiologue au CHU Sainte-Justine

Il explique qu’il y a une procédure stricte à respecter quand on modifie un calendrier de vaccination. La Santé publique doit notamment mettre en place des mesures de surveillance de l’apparition de nouveaux cas et calculer constamment l’efficacité réelle du vaccin chez les personnes qui n’ont reçu qu’une seule dose.

C’est ce qui s’est passé lors de la mise en marché du vaccin Prevnar, développé par la société pharmaceutique Pfizer, pour prévenir les infections par les bactéries pneumocoques, dont la méningite, se souvient Marc Lebel.

Dans un contexte de pénurie de vaccins, le Québec a été la première province à recommander de passer d’un calendrier de quatre doses à seulement trois. Le CIQ avait alors constaté que l’efficacité était similaire avec une dose de moins.

Aujourd’hui, toutes les provinces canadiennes préconisent le calendrier à trois doses.

Le calendrier pour le vaccin contre le virus du papillome humain (VPH) a lui aussi été modifié au Québec. Le manufacturier recommandait trois doses, alors que ce ne sont finalement que deux doses qui sont administrées.

Protection individuelle et populationnelle

L’infectiologue Caroline Quach explique que ce genre de décisions est toujours un jeu d’équilibriste entre la protection des individus et la protection de la population.

Le CCNI, l’organisme fédéral que préside Mme Quach, recommande pour sa part de ne pas dépasser 42 jours entre les deux doses.

Dans un contexte de pandémie non maîtrisée, le gouvernement du Québec espère donc que prise dans son ensemble, la population québécoise pourra bénéficier davantage de l’administration d’une seule dose à un nombre accru de gens que du respect du délai de 21, 28 ou 42 jours entre les doses.

« Le risque, c’est que si on étire trop la durée entre les doses, avec le temps, l’efficacité vaccinale va se mettre à diminuer, explique Mme Quach. Par contre, ce n’est pas comme si [l’efficacité] tombait de 90 % à 0 % du jour au lendemain. »

Ce que les gens en santé publique espèrent, c’est que même si on perd un peu d’efficacité dans le long terme, si on est capable de mieux contrôler la transmission de la maladie, on a un meilleur gain en santé d’un point de vue populationnel.

La Dre Caroline Quach, présidente du Comité consultatif national de l’immunisation

La protection de la population ne se fait pas nécessairement au détriment de la protection individuelle, soutient Mme Quach. « Même si le 1er avril, mon vaccin, il ne lui reste que 50 % d’efficacité, si on a réussi à contenir la transmission de la maladie [dans la population], je ne serai pas exposée », affirme-t-elle.

Ailleurs dans le monde

Le Groupe consultatif stratégique d’experts sur la vaccination de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) émet la recommandation de ne pas espacer les doses de plus de 42 jours. Le groupe d’experts considère qu’il n’y a pas pour le moment de données cliniques fiables pour justifier un délai plus long.

Le Royaume-Uni a choisi une avenue similaire à celle du Québec en autorisant un délai qui peut atteindre 12 semaines, soit 84 jours, entre la première et la seconde dose. Cette décision a été prise pour permettre l’administration du vaccin au plus grand nombre de personnes possible. La prolongation du délai a été critiquée par le directeur de l’Association médicale britannique, qui demande aux autorités de suivre les recommandations de l’OMS.

Aux États-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) demande aux responsables de la vaccination de suivre les calendriers originaux de 21 jours pour le vaccin de Pfizer et de 28 jours pour celui de Moderna. La FDA explique qu’« aller de l’avant avec des changements qui ne sont pas basés par des preuves scientifiques adéquates peut ultimement aller à l’encontre de la santé publique ».

En Israël, le pays où la vaccination est la plus avancée en proportion de la population, les autorités respectent le calendrier de vaccination du manufacturier. De récentes données produites dans ce pays montrent que l’efficacité du vaccin de Pfizer est de 33 % après 14 jours, plutôt que les 52 % après 21 jours calculés par le manufacturier.

Ces chiffres ont toutefois été contestés depuis par le ministère de la Santé d’Israël et certains spécialistes qui soutiennent qu’ils ne sont pas comparables à l’efficacité du vaccin calculée par le manufacturier, puisqu’ils n’ont pas été obtenus avec les mêmes méthodes.

Le gouvernement français suit la recommandation de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) française, qui invite à faire preuve de « flexibilité » dans l’administration de la deuxième dose, entre 21 et 42 jours. Estimant la situation assez grave, la Haute Autorité de santé (HAS), une organisation scientifique qui conseille les élus, demande quant à elle aux responsables de reporter la deuxième dose à 42 jours, afin de vacciner rapidement le plus de personnes à risque possible.