(Montréal) Utiliser immédiatement toutes les doses disponibles des vaccins de Pfizer-BioNTech et de Moderna contre la COVID-19, quitte à retarder l’administration de la deuxième dose, représente possiblement la meilleure stratégie pour endiguer la pandémie, croient des experts.

Les deux vaccins ont démontré une efficacité de 95 % dans les jours suivant l’administration de la deuxième dose. Les études qui ont mené à leur homologation ont toutefois aussi témoigné d’une efficacité élevée après une seule dose.

Un document publié en décembre par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) explique par exemple que l’efficacité des deux vaccins est d’environ 92 % quatorze jours après l’administration de la première dose, avant l’administration de la deuxième.

Confrontés à une pandémie qui échappe à tout contrôle, le Québec et d’autres juridictions n’ont donc possiblement pas d’autre choix que de vacciner le plus de gens possible le plus rapidement possible, à l’extérieur des paramètres utilisés lors des études cliniques.

« Est-ce qu’on est capables d’attendre aujourd’hui en sachant que les hôpitaux sont pleins et que ça se transmet malgré ce qu’on demande aux gens ?, a demandé la docteure Caroline Quach-Thanh, du CHU Sainte-Justine. C’est là qu’il y a une tension entre protéger le plus de gens possible rapidement et les données scientifiques qui ont une certaine limite parce que les études n’avaient pas été faites pour ça. »

Le problème, c’est qu’on ne sait pas vraiment ce qui arrive deux ou trois semaines après la première dose puisque la vaste majorité des participants aux études cliniques ont à ce moment reçu leur deuxième injection.

Il y a toutefois de bonnes raisons de croire que la première dose du vaccin protège pendant de nombreuses semaines.

Pour plusieurs des vaccins avec un calendrier à plus d’une dose — comme ceux contre la coqueluche, la rougeole, la rubéole, les oreillons, la varicelle, le pneumocoque et l’hépatite A — c’est la première dose qui fournit « de loin » la plus grande part de la protection, les doses additionnelles servant surtout à assurer la protection à long terme, peut-on lire dans le document de l’INSPQ.

« Il est possible que la protection conférée par une seule dose (de vaccin contre la COVID) diminue graduellement et plus vite qu’avec deux doses, dit l’INSPQ. Il est cependant peu probable que la protection conférée par une première dose se termine brusquement et rapidement. »

Les vaccins de Pfizer et de Moderna utilisent par ailleurs une nouvelle technologie et on ne peut pas simplement tenir pour acquis que ce qui s’est produit dans le passé se produira aussi cette fois-ci.

« Mon “gut feeling” c’est probablement que jusqu’à six semaines, je n’aurais pas d’enjeux, a dit la docteure Quach. Après ça, est-ce que je suis capable de dire qu’à douze semaines, il n’y a toujours pas de problèmes ? Ça, je ne le sais pas. »

Une question d’éthique

D’un point de vue éthique, poursuit-elle, on peut se demander s’il est acceptable de laisser la moitié des doses disponibles au congélateur en attendant que ceux qui ont reçu une première injection en aient besoin, alors qu’on sait très bien que de nouveaux stocks continueront à arriver chaque semaine et qu’on pourra éventuellement administrer les deuxièmes doses.

Dans le contexte actuel, une protection de six ou huit semaines après une seule dose, même si elle est un peu moindre, est probablement préférable à une protection maximale après deux doses — le temps que le printemps arrive, que le nombre de personnes protégées augmente, que la courbe fléchisse et que la province reprenne son souffle.

« Ça devient de la gestion de risque, a dit la docteure Quach. D’un point de vue provincial, est-ce que je préfère attendre et vacciner comme il faut moins de monde, ou je préfère essayer de casser la courbe le plus rapidement possible en protégeant un maximum de personnes ?

« Pour moi c’est tout à fait correct de dire qu’on commence par libérer toutes les doses, et quand on est rendu à avoir un prochain stock, on vaccine ceux qui devraient avoir leur deuxième dose, parce que clairement, le fait d’avoir une deuxième dose c’est le seul moyen d’avoir une efficacité à 95 %. »

Le document de l’INSPQ abonde dans le même sens. Compte tenu de la situation épidémiologique qui prévaut actuellement au Québec et de l’efficacité d’une seule dose de vaccin, affirme-t-il, « la stratégie qui devrait prévenir le plus grand nombre de cas serait d’offrir le plus rapidement possible une première dose de vaccin aux personnes […] prioritaires, et ce, sans réserver les doses de vaccins livrés pour la deuxième dose ». Cette deuxième dose serait offerte « en fonction de la disponibilité des vaccins et selon la durée observée de l’efficacité de la première dose ».

Tant que les individus ne sont pas vaccinés, rappelle-t-on, « ils demeurent à risque de contracter la COVID-19 et de développer des complications. Avec l’incidence de la COVID-19 qui restera élevée dans les premiers mois de 2021, l’absence de vaccination des personnes âgées de 70 ans et plus vivant en communauté entraînera des centaines d’hospitalisations et de décès par la COVID-19 ».

Un peu moins de 10 000 doses du vaccin ont été administrées au Québec mercredi, pour un total de 48 632.