Couvre-feu. Le mot vient du Moyen Âge. On dit qu’il désignait à l’origine ce moment où la cloche sonnait pour avertir les gens qu’il était l’heure d’éteindre le feu dans la cheminée. À la tombée de la nuit, avant d’aller se coucher, on couvrait les braises avec un couvercle en fonte pour éviter tout risque d’incendie. Avec des maisons faites en bois, un petit feu pouvait vite en devenir un très gros, hors de contrôle…

Alors que le feu de la COVID-19 fait des ravages, le couvre-feu d’un mois annoncé mercredi soir a bien entendu une autre fonction. Le feu est déjà pris. Le brasier semble hors de contrôle. Il est trop tard pour le couvrir. On ne peut plus l’éviter.

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« Si l’école est vraiment la priorité, comme le dit le premier ministre, il aurait fallu lui accorder un traitement-choc prioritaire avant de la rouvrir. Il aurait fallu écouter ce que répètent les experts depuis des mois au sujet de la contagion par aérosols », estime notre chroniqueuse.

Alors pourquoi un couvre-feu ? Pour sonner l’alarme. Pour frapper l’imaginaire. Pour rappeler que l’heure est grave. Que même si le vaccin nous fait voir le bout du tunnel, la route pour y arriver est encore longue. Et que le relâchement dans les mesures de prévention a un coût tragique.

Plus de 8400 Québécois ont déjà péri dans ce terrible incendie depuis le mois de mars. Les grands brûlés se comptent par milliers. Et les pompiers épuisés, à l’œuvre depuis le mois de mars dans nos hôpitaux et nos CHSLD, craignent le pire.

Je pense aux morts. Mais je pense aussi aux vivants. À ceux qui ont perdu des proches depuis le début de la pandémie, parfois dans des conditions cruelles. Je pense à ceux qui n’ont pas pu tenir la main d’un être aimé sur son lit de mort. Je pense aux soignants — médecins, infirmières, préposés et autres « anges gardiens » aux ailes brûlées — à bout de souffle, marqués à vie par des scènes traumatisantes. Je pense aux patients souffrant d’autre chose que de la COVID-19 qui voient leur intervention chirurgicale et leurs espoirs reportés.

La moindre des choses, à la mémoire de ceux qui ont péri et en solidarité avec les travailleurs de la santé qui ont de la suie sur le visage et tentent de sauver le plus grand nombre de vies, serait de prendre la chose au sérieux. D’apporter sa contribution pour éviter un scénario encore plus catastrophique où les hôpitaux, submergés, devront rationner les lits et l’oxygène. Où on devra choisir qui on peut sauver… Qui passera l’hiver et qui ne verra jamais un autre printemps.

Pour toutes ces raisons, le premier ministre François Legault a raison de dire qu’un « traitement-choc » s’impose. Sur le plan symbolique, l’imposition d’un couvre-feu peut avoir cet effet. Mais sachant que les promeneurs du soir en janvier ne sont pas exactement la plus grande menace à la santé publique, on aurait souhaité plus de cohérence dans le traitement-choc.

Si l’école est vraiment la priorité, comme le dit le premier ministre, il aurait fallu lui accorder un traitement-choc prioritaire avant de la rouvrir. Il aurait fallu écouter ce que répètent les experts depuis des mois au sujet de la contagion par aérosols. Écouter la physicienne et coordonnatrice scientifique du collectif COVID-STOP Nancy Delagrave, par exemple, qui était abasourdie mercredi d’apprendre que les écoles primaires accueilleraient le 11 janvier des enfants, sans masques en classe de la première à la quatrième année, alors que la situation épidémiologique est aussi inquiétante.

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Nancy Delagrave, physicienne et coordonnatrice scientifique du collectif COVID-STOP

C’est irresponsable. Selon les critères du Harvard Global Health Institute, on a vraiment dépassé le seuil où c’est possible d’ouvrir les écoles.

Nancy Delagrave, physicienne et coordonnatrice scientifique du collectif COVID-STOP

Ce seuil est de 25 nouveaux cas quotidiens de COVID-19 par 100 000 habitants. Lundi, au Québec, on en était presque à 34, souligne-t-elle.

Le traitement-choc prioritaire pour rouvrir les écoles de façon sécuritaire devrait, en plus de tenir compte de ce seuil, inclure des mesures de prévention adéquates pour prévenir la transmission par aérosols. On pense au port du masque en classe même pour les plus jeunes — non, ce n’est pas l’idéal, mais c’est certainement moins traumatisant pour un enfant que de savoir qu’il a transmis le virus à ses parents. On pense aussi bien sûr à la ventilation et à la purification de l’air, ainsi qu’aux tests salivaires hebdomadaires pour tous. C’est ce qu’on fait dans des écoles de New York pour dépister les cas asymptomatiques et faire l’école à distance pour les élèves atteints de la COVID-19 ou ceux dont les parents refusent qu’ils passent le test.

« Ce sont toutes des mesures inexistantes en ce moment au Québec, note la physicienne. On n’a vraiment pas les conditions gagnantes… Depuis le début, on fait des demi-mesures et on a des demi-résultats. »

Un traitement-choc ? Plutôt un semi-traitement-choc… qui finit par choquer pour les mauvaises raisons.

Un couvre-feu pour dire clairement à la population que l’heure est grave et que nous avons tous un rôle à jouer pour sauver le plus grand nombre de vies, oui, d’accord. Mais pour véritablement couvrir le feu de la COVID-19, il faudra que le gouvernement montre aussi de son côté qu’il fait vraiment tout en son pouvoir, données scientifiques à l’appui, pour y arriver.