« Il y a un relâchement général au Québec. »

Inquiet de la lassitude manifeste des citoyens envers les précautions sanitaires, le premier ministre François Legault a lancé un appel à la vigilance en conférence de presse, lundi, alors que la province a enregistré 140 nouveaux cas.

« C’est important de revenir à une certaine discipline. On ne veut pas revenir au confinement », a plaidé le premier ministre, qui ne veut surtout pas avoir à fermer les écoles.

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François Legault, premier ministre du Québec

L’augmentation de nouveaux cas depuis deux semaines, après un net ralentissement au début d’août (à peine une soixantaine, certains jours) préoccupe le gouvernement, d’autant plus qu’« on observe une tangente inquiétante dans certains pays, comme en France », a souligné en entrevue le docteur Gaston De Serres, médecin-épidémiologiste à l’Institut national de santé publique du Québec.

Il est certes inutile, dit le DDe Serres, « de laver ses boîtes de céréales » et le reste de l’épicerie.

Là-dessus, après des mois de COVID-19, on peut lâcher prise.

« Par contre, poursuit-il, il est clair qu’il faut continuer de pratiquer la distanciation, minimiser ses contacts avec les autres, porter un masque et qu’il vaut mieux rencontrer les gens dehors. »

Où en serons-nous, le 15 novembre, quand il tombera des cordes ? Le 15 décembre, quand il fera -15 ?

« Un peu tout le monde croise les doigts », répond le DDe Serres, disant espérer que l’analyse fine des éclosions permettra de les endiguer rapidement.

À partir de combien de cas risque-t-on une fermeture des écoles ? À cela, le DDe Serres note qu’il n’y a pas de chiffre magique.

Dix élèves contaminés dans une même classe, ce n’est pas la même chose, par exemple, que dix élèves de cinq niveaux différents. Dans le second cas, il serait question d’une transmission qui aurait affecté potentiellement toute l’école, contrairement au premier cas.

Le DGaston De Serres, médecin-épidémiologiste à l’Institut national de santé publique du Québec

Aussi, s’il y avait plusieurs éclosions à Montréal et qu’on devait fermer plus largement des écoles, cela ne voudrait pas dire que ça devrait aussi être le cas en Gaspésie.

L’idée demeure de surveiller cela de très près, « pour éviter le remède de cheval » du confinement total, illustre le DDe Serres. Et réagir vite lorsqu’il y a des problèmes plus systémiques, « comme il y en a eu dans les abattoirs aussi bien au pays qu’à l’étranger ».

Des études réalisées sur les retours en classe dans plusieurs pays, au printemps, semblent confirmer l’évidence : une faible transmission communautaire apparaît comme l’une des meilleures façons de limiter les éclosions à l’école.

D’abord, « stabiliser l’édifice »

Marie-Pascale Pomey, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, note qu’avec le temps, on peut certes être moins paranoïaque à certains égards. Oui, on peut laisser sortir son chat. Les chaussures laissées dans les vestibules ne posent pas problème non plus.

Elle note aussi que le lavage frénétique des chaises dans les restaurants, entre deux clients, vise plus un « effet psychologique » qu’à contrer un réel gros danger.

Par contre, se saluer avec le coude ou avec le poing, ce n’est pas une bonne chose, parce que par ces gestes, « on ne reste pas à un mètre de l’autre ».

Et quand les enfants de cinquième année et plus jouent ensemble, dehors, à l’extérieur de leur « bulle-classe », « ils devraient porter le masque s’ils ne peuvent pas garder leurs distances », croit Mme Pomey.

Et inviter l’ami de l’autre classe à la maison ? Mieux vaut attendre quelque temps, selon elle.

Mme Pomey note le grand clivage entre les parents qui jugent que les élèves sont beaucoup trop exposés et ceux qui, au contraire, voudraient que les enfants voient tous les amis, sans restriction relative aux « bulles ».

Au sujet du retour des activités parascolaires et des ligues récréatives, Mme Pomey estime, elle, que le gouvernement serait bien avisé de résister aux pressions et d’attendre bien au-delà du 14 septembre avant de prendre une décision. « Je me serais donné un mois pour bien stabiliser l’édifice », dit-elle.

« On peut vivre à 140 cas, particulièrement s’il n’y a pas de répercussions sur le système de santé », relève-t-elle.

Mais il reste que « la rentrée, c’est un test, il faut stabiliser tout cela. Il y a une confiance à rétablir ».

« Tout le monde voudrait recommencer comme avant », a fait observer François Legault, lundi.

Mais dans les prochaines semaines, a-t-il fait remarquer, il y aura des moments critiques. En plus des enfants à l’école, « des gens retournent au travail et, avec la température, graduellement, on va être plus à l’intérieur, a-t-il poursuivi. On a un défi devant nous. »

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Christian Dubé, ministre de la Santé et des Services sociaux

Christian Dubé, ministre de la Santé, insiste : l’effort doit se poursuivre. « On le fait pour nos aînés, pour les patients que l’on doit soigner dans nos hôpitaux, pour les employés du réseau de la santé, pour nos enfants et pour relancer l’économie. » Il ne faudrait surtout pas, dit-il, qu’un relâchement soit « la cause d’une deuxième vague de COVID-19 ».

Cela étant dit, ce ne sont plus que les jeunes qui perdent certains réflexes. Lors d’une conférence de presse jeudi à laquelle participaient notamment Valérie Plante, mairesse et Montréal, et Lionel Carmant, ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, les élus et les employés du réseau de la santé présents ont oublié à plusieurs reprises de garder leurs distances. Idem pour bon nombre de journalistes qui se sont massés à un moment donné dans l’entrée de l’ancien hôpital Royal Victoria avant d’être invités à visiter le nouveau refuge pour itinérants.

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La mairesse de Montréal, Valérie Plante, la ministre responsable de la métropole et de la région de Montréal, Chantal Rouleau, et le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, le Dr Lionel Carmant, lors d’une conférence de presse à Montréal où la distanciation physique a été négligée à plusieurs moments.

Les autorités et journalistes présents portaient un couvre-visage, mais suivant la directive martelée depuis des mois par la Santé publique, une distance entre les gens doit être maintenue.

Les deux élus n’ont pas commenté cette observation. Marie Montpetit, critique libérale en matière de santé, a pour sa part expliqué que ses collègues politiciens, tous partis confondus, sont conscients de leur devoir d’exemplarité.

Pas d’amende… pour l’instant

Même si « rien n’est exclu à ce moment-ci », Québec n’a pas l’intention d’imposer des amendes aux citoyens qui ne respectent pas les règles de distanciation physique.

« On ne veut pas aller là pour l’instant […], mais s’il le faut, on ira du côté des pénalités », dit le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé.

Selon les données de son ministère, les jeunes sont de plus en plus touchés par la COVID-19. Les jeunes de 10 à 19 ans ne représentaient qu’environ 4,6 % des cas de COVID-19 au plus fort de la première vague. Aujourd’hui, ils représentent environ 11 % des nouveaux cas. Alors que la rentrée scolaire bat son plein, les parents doivent-ils s’en inquiéter ?

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Le Dr Richard Massé, conseiller médical stratégique à la Direction générale de santé publique

Conseiller médical stratégique à la Direction générale de santé publique, le DRichard Massé y voit « surtout l’effet des vacances et moins l’effet du début de l’école ».

Pour le DMassé, l’effet de la rentrée scolaire se fera sentir dans les prochains jours. « Il y a un potentiel multiplicateur. Et c’est ça qui nous inquiète », dit le DMassé, qui voit cette hausse de cas chez les jeunes comme « un avertissement ».

M. Legault assure que la province est « beaucoup mieux équipée que dans la première vague » pour faire face à une hausse de cas. Le matériel de protection est en quantité suffisante et 8000 personnes suivent une formation de préposé aux bénéficiaires. Mais pour éviter une deuxième vague comme celle qui frappe plusieurs pays d’Europe, la population doit poursuivre ses efforts, plaide M. Legault.

Qui sont les récentes victimes de la COVID-19 ?

Il n’y a « pas de cause unique » pour ces nouveaux cas, a relevé François Legault. Certains sont liés à des activités sportives, des entreprises, un mariage, a-t-il évoqué.

Le ministre de la Santé, Christian Dubé, affirme que 10 des 140 nouveaux cas enregistrés lundi sont liés à une activité de karaoké qui a rassemblé des personnes qui se connaissaient et où un micro est passé entre les mains des participants. D’autres cas liés à cet évènement qualifié « d’inacceptable » par M. Dubé pourraient être confirmés dans les prochains jours.

Les nouveaux cas ne se retrouvent pas nécessairement à Montréal, a souligné le premier ministre. Certains ont été enregistrés à Québec, dans Chaudière-Appalaches, en Mauricie, dans le Centre-du-Québec, en Estrie et en Outaouais.

Le fait que le nombre de cas augmente sans que ce soit la même chose pour les décès et les hospitalisations ne signifie pas que le virus a perdu de sa virulence. En réalité, cela s’explique par le fait que les nouveaux cas touchent surtout ces temps-ci des personnes plus jeunes qui risquent moins de subir des conséquences graves, a relevé M. Legault.