Le médecin en chef d’un canton suisse a émis une mise en garde contre le port de la visière seule, après une éclosion de COVID-19 dans un restaurant où uniquement les employés qui portaient un écran facial par rapport au masque auraient été contaminés. La directive relance le débat, alors que plusieurs régions européennes jugent sécuritaire la visière, sans couvre-visage, pour les travailleurs, par exemple dans le domaine de la restauration et de la coiffure.

Au Québec, « à part quelques exceptions de dernier recours, on ne recommande pas le port de la visière seule. La visière est recommandée comme une protection oculaire en ajout à la protection du masque [d’intervention], recommandé lorsqu’il y a des contacts à moins de deux mètres avec soit de la clientèle ou des collègues », a précisé Stéphane Caron, médecin-conseil dans l’équipe de santé au travail de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).

Les exceptions concernent par exemple des situations où un masque pourrait causer de la buée dans les lunettes et faire augmenter le risque d’accident, a-t-il illustré.

Peu d’études existent sur l’efficacité de l’écran facial, ou même sur la transmission de la COVID-19 par les yeux.

Un cas à approfondir

« C’est difficile de tirer des conclusions des cas en Suisse, parce qu’on a très peu d’information, a souligné Robyn S. Lee, professeure adjointe en épidémiologie à l’Université de Toronto. Est-ce que les employés qui avaient un masque n’étaient pas en contact avec les clients, alors que ceux qui portaient la visière l’étaient ? Étaient-ils plus proches, plus longtemps ? J’aimerais le savoir. »

En Angleterre, le port de la visière par les coiffeurs – sans le couvre-visage – a fait partie des directives pour permettre aux salons de coiffure une réouverture au début du mois. Les clients, eux, devaient porter le couvre-visage, qui n’est obligatoire que depuis vendredi dernier dans les magasins et les supermarchés.

Geneviève Marchand, microbiologiste et biochimiste à l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail, rappelle que le couvre-visage en tissu est surtout utilisé pour protéger les autres de ses propres sécrétions. « C’est vrai que la visière va arrêter les projections comme les postillons, mais ça va s’arrêter là, a-t-elle expliqué. Si on parle d’un couvre-visage ou d’un masque de procédure, donc plus près du visage, [les gouttelettes] émises par les personnes qui vont le porter vont peut-être être plus arrêtées. Même à ce niveau-là, c’est beaucoup d’extrapolation par rapport à nos connaissances. »

PHOTO GRAHAM HUGHES, LA PRESSE CANADIENNE

Un travailleur avec un masque, dans les rues de Montréal

Stéphane Caron précise lui aussi que le couvre-visage en tissu ne fait pas partie de l’équipement de protection individuelle, contrairement au masque d’intervention. La visière pourrait, elle, agir comme barrière à la fois aux gouttelettes émises par la personne qui le porte et par la personne qui se trouve près d’elle, mais « il y a très peu d’études sur le sujet », a-t-il ajouté.

L’Organisation mondiale de la santé recommande l’utilisation du couvre-visage quand la distanciation n’est pas possible pour faire barrière aux gouttelettes contaminées.

Deux solutions imparfaites

« Le couvre-visage et l’écran facial sont deux solutions imparfaites et ne remplacent pas la distanciation », a noté Daniel Diekema, directeur de la division des maladies infectieuses à l’Université de l’Iowa. Il a cosigné un texte sur la visière dans la revue JAMA en avril dernier, arguant qu’elle pourrait offrir une meilleure protection que le masque artisanal, souvent mal utilisé, a-t-il remarqué. Les auteurs soulignaient la nécessité de faire des études cliniques pour en savoir plus.

Près de trois mois plus tard, Daniel Diekema croit toujours que la visière peut être une bonne option, notamment pour communiquer avec les enfants et les personnes malentendantes.

« L’idéal reste l’écran facial et le masque, lorsqu’ils sont portés correctement, comme on le voit chez le personnel médical, a-t-il dit. Mais très peu de gens peuvent supporter ça longtemps et ça rend les communications difficiles. »

Tous les experts interviewés ont insisté sur un point : les outils pour réduire le risque de transmission, comme le couvre-visage et la visière, ne remplacent pas les consignes de base, comme la distanciation physique et la réduction des contacts.

– Avec Reuters