Colorés, unis, jetables ou lavables, les masques s’affichaient sur la vaste majorité des visages croisés par La Presse samedi, au premier jour de son port obligatoire dans tous les lieux publics fermés. Si les personnes interviewées s’accommodaient plutôt bien de la mesure imposée par Québec, les commerçants craignaient de « devoir jouer à la police » pour éviter d’éventuelles amendes.

Rita Hajjar attendait les clients dans une boutique de bijoux et accessoires des Cours Mont-Royal, samedi matin. Seule dans le magasin, la jeune femme misait sur la persuasion en cas de refus de porter le masque. « Je ne peux pas obliger les gens, a-t-elle dit. Si je vois qu’ils n’en portent pas, je vais leur demander de le mettre la prochaine fois et leur montrer qu’on en vend. »

Une femme et sa fille, seules clientes au visage découvert croisées par La Presse, se sont d’ailleurs arrêtées devant l’étal de masques, au moment même où un gardien de sécurité leur rappelait la règle. Elles en ont acheté deux, qu’elles se sont empressées d’enfiler, sans vouloir commenter la situation.

Possible agressivité

On ignorait samedi combien d’appels le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) avait reçus pour intervenir auprès de clients récalcitrants. Une compilation sera faite à la fin du week-end, a précisé l’inspecteur André Durocher.

Déjà, la vidéo d’une arrestation circulait samedi après-midi sur les réseaux sociaux, après le refus d’un homme de porter un masque dans un Tim Hortons.

Vers 12 h 35, le SPVM a dû sévir auprès de ce client dans un établissement situé à l’intersection de l’avenue Papineau et de la rue Jarry Est. Le restaurant a demandé son expulsion puisqu’il refusait l’utilisation du couvre-visage, confirme l’agente Véronique Comtois, porte-parole du SPVM.

L’altercation, filmée par la copine de l’individu, a fait le tour des réseaux sociaux, avec plus de 30 000 partages.

On y voit un policier exiger le port du masque de la part du client, qui répond avoir le droit de commander sans masque. Peu après son refus d’obtempérer, deux policiers saisissent l’homme et l’immobilisent au sol.

L’homme a été relâché à la suite de l’intervention et devra comparaître pour avoir nui au travail d’un policier.

La violence possible de clients réfractaires au masque inquiétait des organisations de commerçants, d’autant que ceux-ci ont la responsabilité de faire respecter la consigne, sans quoi ils s’exposent à des amendes allant de 1000 $ à 6000 $.

« On a tous vu des images dérangeantes [de violence] aux États-Unis », a fait remarquer au téléphone Pierre-Alexandre Blouin, président-directeur général de l’Association des détaillants en alimentation du Québec.

L’Association, avec 12 autres organisations représentant des commerces, bars, restaurants, épiceries, a demandé au gouvernement d’imposer une amende aux consommateurs rebelles.

Les commerçants en ont déjà plein les bras avec le contexte, c’est un défi. Là, ils vont avoir à jouer à la police.

Stéphane Drouin, directeur général du Conseil québécois du commerce de détail

Des entreprises s’étaient préparées à l’éventualité de clients récalcitrants. Au Roots, par exemple, les employés sont invités à tenter de désamorcer la tension en cas de réponses agressives. « La compagnie a fait des protocoles, différents scénarios sur la façon de réagir », a indiqué la gérante de la succursale de la rue Sainte-Catherine, Anne Saragossi.

Le magasin avait placé à l’entrée, bien visibles, une affiche rappelant les consignes et un distributeur de solution hydroalcoolique. Comme dans d’autres commerces du centre-ville, la rareté des clients semblait l’inquiéter davantage que celle du masque. « C’est sûr que c’est difficile, les bureaux sont fermés, il n’y a pas de touristes et il y a les travaux », a-t-elle décrit.

Inconfort

Les personnes rencontrées samedi ont dit s’adapter au masque, malgré un inconfort souligné par plusieurs. « C’est la première journée que je le porte, a souligné Marie-Jeanne Gagnon, rencontrée au Walmart de Saint-Constant. Je trouve que rendu à ce stade-ci, c’est inutile, il aurait fallu [que les autorités] le fassent porter bien avant. »

Même si les enfants de moins de 12 ans ne sont pas tenus de porter un couvre-visage, son fils de 4 ans avait la moitié du visage caché derrière des imprimés de dinosaures. « Je préfère que mes enfants en aient un », a-t-elle expliqué.

Nissa Daikhi, employée du magasin, disait « étouffer » sous son masque, mais avoir choisi de le porter bien avant son imposition, « par devoir de citoyenne ». « C’est moins dur que ce qu’on a vécu dans nos pays », a noté la femme d’origine algérienne.

Au marché Atwater, René Bélanger, propriétaire de la boucherie Adélard Bélanger et Fils, tentait de son côté de s’habituer à cette première journée de travail avec son masque… et ses lunettes embuées. « Je n’ai vu personne sans masque depuis ce matin », a-t-il remarqué en après-midi. Il juge que les jours précédents, environ 60 % des clients le portaient.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Le port du masque s’applique également aux centres sportifs, mais il peut être retiré pendant l’activité physique.

Le port du masque s’applique également aux centres sportifs, mais il peut être retiré pendant l’activité physique. Au centre d’escalade Allez up, la consigne était bien suivie, ont noté le directeur général Antoine Séguin et la copropriétaire Geneviève de la Plante.

« Si tout le monde s’adapte, ça va faire partie de la vie », a précisé M. Séguin. Mme de la Plante a dit avoir regardé les pratiques en Asie, où les pays n’en sont pas à leur première épidémie. « Le sport, c’est la santé physique et mentale. Si c’est ce que ça prend pour rester ouvert, c’est correct », a-t-elle ajouté.