Ils devaient être 10. Ils se sont retrouvés plus de 60 dans un party tenu le 28 juin à Saint-Chrysostome. Dans les jours qui ont suivi, des adolescents et jeunes adultes ont continué à fréquenter les commerces de la Rive-Sud de Montréal sans savoir qu’ils avaient contracté la COVID-19 durant la soirée de « fête ».

Jointe par La Presse, l’organisatrice de la soirée reconnaît ses torts. « Ma mère était chez une amie. Elle m’a permis de faire un petit party avec 10 personnes. Une de mes amies, elle, m’a dit qu’on avait le droit d’être 50. Donc, on a invité plus de monde », raconte l’adolescente de 15 ans, qui aurait souhaité que son nom paraisse dans La Presse, car « elle veut montrer qu’elle assume les conséquences de son geste ». Sa mère a préféré protéger sa fille déjà victime de commentaires acerbes sur les réseaux sociaux.

Pendant la soirée, des invités publient l’adresse du rassemblement sur les réseaux sociaux comme Instagram et Snapchat. Ils annoncent une « open house » ou un « open air ». Au plus fort de la fête, une soixantaine de personnes festoient chez elle, soutient l’instigatrice du party. Elle ignore l’identité de plusieurs d’entre elles.

Les gens allaient dehors, en dedans. J’étais stressée non seulement à cause de la police parce que je savais qu’on était trop, mais aussi à cause du coronavirus. Mais le monde ne voulait pas s’en aller.

L’organisatrice de la soirée du 28 juin, à Saint-Chrysostome

Le lendemain de veille arrive… trois jours plus tard. Plusieurs fêtards découvrent qu’ils ont contracté la COVID-19. L’instigatrice de la soirée, elle-même malade, soutient qu’une personne présente à son party aurait caché un résultat positif qu’elle aurait obtenu quelques jours avant le 28 juin.

L’hôtesse de 15 ans a publié une lettre d’excuses sur les réseaux sociaux, dimanche dernier. Elle a réitéré ses excuses à La Presse de façon verbale et écrite. « J’aimerais présenter mes excuses à tous les parents, les enfants, les familles et les personnes touchées. Dans cette situation, je n’ai pensé qu’à moi », écrit-elle.

« C’est sûr que c’est de ma faute, précise-t-elle au téléphone. Mais les gens qui sont venus et qui sont restés ne sont pas mieux. Je n’ai obligé personne à venir chez moi. »

Pas de distanciation physique

Karine Valade a donné la permission à son fils de 17 ans de se rendre chez une amie le 28 juin dernier. Un petit groupe d’adolescents voulait profiter du beau temps alentour d’un feu, à l’extérieur. « Ils appellent ça un chillin’ alentour d’un feu. Mais la fille qui a fait les invitations, elle a perdu le contrôle de son chillin’ », raconte la femme de Châteauguay.

Parce que M. Legault a dit qu’on avait le droit à une cinquantaine de personnes à l’intérieur, ces jeunes n’ont pas compris que c’était uniquement dans les lieux publics. Tous les jeunes se sont dit que 50 personnes dans un party, c’était correct.

Karine Valade, mère d’un des convives

Trois jours après la fête, le fils de Karine Valade s’est mis à souffrir de fatigue intense. Puis, le vendredi, des amis qui étaient présents à la soirée l’ont contacté pour lui annoncer qu’ils avaient passé un test de dépistage à la COVID-19. Dix-huit de ses copains ont reçu un résultat positif. C’est à ce moment que l’adolescent a révélé la vérité à sa mère au sujet de la soirée du 28 juin.

Le garçon lui raconte que les personnes, la plupart mineures, festoyaient autant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la petite maison. Personne ne portait de masque. La distanciation physique n’existait pas. De son côté, l’adolescent estime que 120 personnes étaient présentes au rassemblement lorsqu’il a quitté les lieux.

« Mon fils est resté juste une heure. Il m’a dit qu’il trouvait qu’il faisait trop chaud, qu’il y avait trop de monde, qu’il n’aimait pas ça. Une heure seulement, mais il a eu le temps de contracter la maladie. »

Fermeture de commerces

Dans les jours qui ont suivi le 28 juin, les adolescents qui ont participé à la fête ont continué à fréquenter les commerces de la Rive-Sud de Montréal. Ils ont aussi continué à y travailler.

La boulangerie Fantaisie du blé, à Mercier, a d’ailleurs annoncé sa fermeture, lundi, car un employé a contracté la COVID-19. Celui-ci a participé au party du 28 juin.

« C’est terrible, affirme Frédéric Dugas, copropriétaire de l’établissement, ébranlé. C’est de l’insouciance. Ces jeunes se disent invincibles, mais ils font des victimes comme nous. J’ai été obligé de demander à une trentaine d’employés de rester à la maison. Ce n’est pas drôle. On réussissait quand même bien depuis le mois de mars. On a travaillé tellement fort. »

Le restaurant Grégoire, un casse-croûte familial à Mercier, a également fermé ses portes samedi. Les propriétaires ignorent quand ils seront en mesure de rouvrir.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Jean-François et Emmanuel Grégoire, propriétaires du restaurant Grégoire

« L’employé [malade] m’a confirmé qu’il était au Mile Public House, mardi dernier [le 30 juin], explique Jean-François Grégoire, copropriétaire du restaurant. Ses amis proches ont fait des câlins et des bisous à une fille qui avait été au party. Ensuite, lui, il a serré la main de ses amis. Il n’a pas été en contact directement avec la fille qui était au party, mais son groupe d’amis, oui. »

Le restaurant Grégoire n’était pas obligé de fermer. Les propriétaires ont tout de même pris la décision d’attendre les résultats des tests de dépistage de tous les employés avant d’annoncer la réouverture.

« C’est décourageant parce que du monde comme nous autres, nous avons des commerces qui font vivre des familles. Nous sommes les perdants là-dedans. Ce ne sont pas les jeunes qui sont le plus touchés », ajoute M. Grégoire.

Le McDonald’s et le IGA, à Mercier, ont tous les deux annoncé avoir procédé à la désinfection de leur établissement dans les derniers jours. Dans chacun des commerces, un employé a récemment été déclaré positif à la COVID-19. La direction des deux entreprises a refusé nos demandes d’entrevue, mais des employés nous ont confirmé que leurs collègues malades avaient contracté le virus au party de Saint-Chrysostome dans le cas du IGA et au Mile Public House dans le cas du McDonald’s.

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Le IGA, à Mercier

Enquêtes complexes

L’instigatrice de la soirée a collaboré avec les médecins de la Santé publique pour retrouver le plus de personnes présentes à son domicile le soir du 28 juin. « La Santé publique m’a demandé de publier un message sur les réseaux sociaux pour que les gens me donnent leur prénom, leur nom de famille, leur adresse, leur courriel, leur numéro de téléphone et s’ils avaient des symptômes. Plusieurs médecins me l’ont demandé », raconte la jeune fille de 15 ans. Dans la dernière semaine, elle affirme qu’elle a publié un message cinq fois sur sa page Facebook.

La Direction de santé publique (DSP) de la Montérégie confirme que les enquêtes épidémiologiques sont plus complexes à mener, depuis peu. « En période de confinement, quand il y avait des enquêtes, les gens étaient confinés, ils avaient peu d’occasions sociales. Et là, on voit que les gens ont eu des dizaines de contacts à moins de deux mètres. Il y a un potentiel que le virus se propage. Ça inquiète nos autorités en santé publique », dit Chantal Vallée, porte-parole de la DSP de la Montérégie.

Mme Vallée a refusé de confirmer combien de personnes ayant assisté au party du 28 juin à Saint-Chrysostome ont été déclarées positives à la COVID-19. Elle affirme toutefois que des invités à une seconde fête, sur la Rive-Sud de Montréal, ont aussi été déclarés positifs à la COVID-19 dans la dernière semaine. Ce party aurait eu lieu à Mercier quelques jours avant le 28 juin, selon nos sources. Certaines des personnes ayant assisté à l’une ou l’autre des soirées se sont rendues au Mile Public House, le 30 juin dernier, avant de savoir qu’elles étaient malades. La Santé publique a d’ailleurs demandé à tous les clients ayant fréquenté le bar ce soir-là de passer un test de dépistage.

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Le Mile Public House, vendredi soir dernier

« Certaines personnes ont participé à un, à deux ou à trois de ces événements [les deux partys et la soirée au Mile Public House]. Plusieurs de ces personnes sont allées au Mile Public House. C’est pour cette raison que nous avons fait un appel à tous », souligne Mme Vallée. Selon elle, 20 personnes auraient reçu un résultat positif à la suite de ces trois événements.

L’organisatrice de la soirée du 28 juin avance que près de 30 personnes ont été contaminées chez elle, une information confirmée par une personne travaillant dans le milieu de la santé, mais non autorisée à parler aux médias.

En conférence de presse lundi, le directeur national de santé publique du Québec, le DHoracio Arruda, a indiqué que des « gens font des partys à la maison ». Il a évoqué « l’histoire de la Montérégie » où « un groupe de jeunes qui se connaissent qui ont fait deux partys à la maison » et sont ensuite « allés au bar une autre journée ».

« Je suis convaincu que la situation qui a été vécue en Montérégie n’est pas la seule. Il doit y en avoir ailleurs au Québec », a dit le DArruda, qui a invité la population en général, et pas juste les jeunes, à « faire attention ». Le DArruda en appelle au respect des règles de distanciation physique, dont les deux mètres entre les personnes. « Si on ne fait pas ça, c’est tout le monde qui va payer pour », a-t-il déclaré.

— Avec Ariane Lacoursière, La Presse