Comme des milliers d’éducatrices en petite enfance, Jo-Anne Madaire s’apprête à retrouver, lundi matin, des petits visages qu’elle n’a pas vus depuis trois mois. Son groupe « d’avant » sera bientôt de nouveau complet. Or, à mesure que le déconfinement s’installe à l’extérieur, les règles très strictes imposées aux CPE sont d’autant plus lourdes pour les éducatrices et crève-cœur pour les parents qui confient leur poupon pour la toute première fois à des étrangers masqués.

Quand Jo-Anne commence sa journée, elle enfile son masque, sa visière par-dessus ses lunettes et son sarrau, puis accueille ses petits de 4 ans, qui seront plus nombreux alors que les services de garde éducatifs situés dans le Grand Montréal passent de 50 % à 75 % de leur capacité, lundi.

« On aura plus d’enfants. Je ne sais pas comment ça va se passer. On n’a pas le choix de vivre ça au jour le jour, sinon on va se brûler mentalement avec tout le stress », témoigne Jo-Anne Madaire, éducatrice de 20 ans d’expérience, épuisée plus que jamais à la fin de ses journées.

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Jo-Anne Madaire, éducatrice en petite enfance, s’apprête à retrouver, lundi matin, des petits visages qu’elle n’a pas vus depuis trois mois.

« On parle toute la journée. On fait des interventions auprès des enfants qui n’entendent pas bien avec les masques et tout. On répète, on répète et on répète », récapitule l’éducatrice certifiée en petite enfance, qui travaille dans un établissement du Plateau Mont-Royal.

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Jo-Anne Madaire

« Avec les enfants des travailleurs essentiels, on n’avait rien pantoute ! Et ces enfants-là étaient beaucoup plus à risque. Et depuis le 1er juin, on doit porter tout le kit, et on dirait qu’on s’en va au bloc opératoire », raconte l’éducatrice, qui attend impatiemment l’assouplissement des mesures de protection individuelle.

Ce qui ajoute à la lourdeur, explique-t-elle, c’est le déconfinement généralisé qui s’est installé depuis deux semaines et auquel les familles du quartier n’échappent pas.

Nous, on est en pandémie dans le CPE, et à l’extérieur, la vie a repris son cours. C’est vraiment, vraiment frustrant.

Jo-Anne Madaire, éducatrice certifiée en petite enfance

« En face du CPE, on a un parc avec jeux d’eau. Si on y va, on gère le nombre d’enfants par module, on désinfecte tout. On n’a pas le droit de les laisser aller. On a des mesures très strictes à respecter. Et le soir, les parents viennent chercher leurs enfants, puis ils traversent tous au parc, les enfants jouent ensemble, les parents parlent ensemble, un à côté de l’autre. C’est quasiment insultant », témoigne l’éducatrice, qui se sent « délaissée par le ministère de la Famille », qui, selon elle, devrait donner un peu d’air aux CPE devant cette nouvelle réalité.

Un poupon au pied de la porte

Si le retour à la garderie est brutal aux yeux de certains parents – avec tout l’attirail que les éducatrices doivent maintenant porter –, il l’est d’autant plus pour ceux qui y laissent leur bébé pour la toute première fois. Pour Camille T. Landry, maman d’une petite fille de 9 mois qui habite à Longueuil, il est hors de question qu’elle « laisse son enfant à la porte » de son nouveau milieu de vie, même si elle connaît l’endroit puisque son aînée de 3 ans le fréquente aussi.

Je suis désemparée présentement, et je connais l’environnement. Je n’imagine même pas un parent qui commence la garderie et qui doit aller porter son enfant sur le bord de la porte et le laisser dans un endroit qu’ils ne connaissent pas.

Camille T. Landry, mère de Rosanne et de Lana

La période d’adaptation à la garderie dure en moyenne entre deux et quatre semaines, avec des présences en crescendo avant l’entrée officielle. Avec toutes les mesures en place en raison de la COVID-19, impossible de procéder à l’intégration progressive des bébés.

« J’ai un excellent CPE. Encore la semaine dernière, ils m’ont dit qu’ils travaillaient dans ce sens-là, mais c’est hors de leur contrôle, raconte Camille. Pour eux non plus, ce n’est pas facile. »

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Camille T. Landry, Stéphane Turcotte, et leurs filles Rosanne, 3 ans, et Lana, 9 mois

Préoccupée et espérant que les consignes changent d’ici à l’entrée en garderie de sa cadette, en août, la maman de 28 ans a écrit à son député caquiste, Lionel Carmant.

« Je vois des témoignages de mères qui doivent laisser leur enfant d’à peine quelques mois à la porte d’un milieu de garde pour la première fois, sans intégration, et je trouve que cette façon de faire est totalement inhumaine et cruelle. Pouvons-nous rendre nos enfants à l’aise dans ce moment crucial de leur vie », écrit la jeune femme, qui demande au gouvernement d’accorder une semaine d’intégration pour les poupons.

« Je suis conseillère en RH. Je ne suis pas insensible, je sais qu’il faut protéger les éducatrices. Je comprends à 100 %. […] Mais je me dis, une éducatrice remplaçante va entrer avec des gants et tout. Pourquoi pas une maman ? », demande Camille qui, avec son mari, songe à l’idée de modifier leur horaire de travail pour retarder l’entrée à la garderie de leur cadette, si elle doit se faire dans ces conditions.