(Québec) Lorsqu’elle répond au téléphone du motel qu’elle gère à Old Orchard Beach, Sarah Alexander le fait en français : « Bonjour, bienvenue au Beau Rivage Motel ! »

La Québécoise d’origine vit depuis 10 ans au Maine. Et pour la première fois depuis des lustres, le français pourrait être à peu près absent cet été des plages d’Old Orchard, une station touristique fort prisée des Québécois. « Tout ça est très triste », laisse tomber au bout du fil la gérante de l’établissement.

La frontière canado-américaine est fermée depuis le 21 mars aux voyages non essentiels. La décision d’Ottawa a été renouvelée au moins jusqu’au 21 juin. La suite ? Personne ne la connaît.

À Old Orchard Beach, où 60 % des touristes sont canadiens et la majorité d’entre eux sont québécois, cette fermeture représente une épée de Damoclès.

Le Beau Rivage Motel, comme la plupart des autres lieux d’hébergement en ville, a dû gérer une kyrielle d’annulations en provenance du Québec. Les Québécois représentent jusqu’à 60 % de la clientèle de l’établissement.

« Habituellement ici, c’est planifié une année d’avance. C’est une place familiale. Les familles savent quelle chambre elles veulent, leur mère aura telle chambre, leur frère aura telle chambre. C’est vraiment comme la maison », explique Mme Alexander, originaire de la Rive-Sud de Montréal.

PHOTO FOURNIE PAR SARAH ALEXANDER

Sarah Alexander est gérante du Beau Rivage Motel, à Old Orchard Beach. Elle espère que la frontière pourra rouvrir d’ici l’été, pour permettre aux Québécois de visiter le Maine.

Les 60 chambres sont toutes louées en haute saison. Cette année, personne ne sait à quoi s’attendre. Lundi, c’était jour de réouverture pour les établissements de tourisme du Maine. Au moment de l’appel de La Presse, le Beau Rivage n’avait qu’un seul client.

Catastrophe annoncée

Au camping Paradise Park Resort, Jimmy Halle raconte avoir dû assister, le cœur gros, à la multiplication des annulations. Pour lui aussi, les Québécois représentent environ 60 % de ses clients.

« Les deux derniers mois ont été terribles. La majorité de nos clients du Québec ont annulé ou repoussé leurs réservations à l’été prochain », dit le copropriétaire du camping de 242 emplacements.

« On pourrait avoir une baisse de revenus de 90 % si les choses ne s’améliorent pas, ce qui serait catastrophique. On pourrait devoir emprunter de l’argent simplement pour survivre jusqu’à la prochaine saison », explique l’homme originaire de Lac-Mégantic.

« C’est très difficile. On a mis des employés dehors. On n’est plus que les propriétaires à travailler, avec mes enfants. »

Devant les tribunaux

La situation est d’autant plus critique que même le tourisme intérieur est en péril. La gouverneure démocrate du Maine a décrété une quarantaine obligatoire pour les visiteurs des autres États américains.

Le Maine a été relativement peu touché par la COVID-19. L’État comptait lundi 89 morts des suites du virus.

C’est pour protéger les habitants du Maine que la quarantaine a été mise en place, a expliqué la gouverneure Janet Mills.

Cette mesure nuit bien entendu au tourisme. Elle a d’ailleurs été attaquée devant les tribunaux par des entreprises du domaine touristique – des campings et des restaurants – qui estiment qu’elle enfreint la liberté constitutionnelle de mouvement entre les États du pays.

L’affaire s’est corsée quand le département fédéral de la Justice a décidé de se mêler du dossier, en faveur des plaignants. Le président Donald Trump met de la pression sur certains États pour accélérer le déconfinement.

La gouverneure s’est dite « franchement dégoûtée » par la position de Washington, qui « mine la santé des gens du Maine ». Vendredi dernier, un juge fédéral a donné raison au Maine dans un jugement interlocutoire. L’affaire doit toujours être jugée sur le fond.

« Le Maine a une population de 1,3 million de personnes », écrivait le procureur général de l’État dans son argumentaire déposé en cour. « L’été dernier, nous avons eu 22,1 millions de visiteurs, avec plus de la moitié provenant d’États où les taux d’infection dépassent ceux du Maine. »

À Old Orchard, toutes ces embûches font craindre le pire à l’industrie touristique. Une ouverture de la frontière d’ici l’été est possible, mais est-elle probable ? Jimmy Halle, lui, la saluerait. « Pour la COVID-19, on est plus inquiets par les gens de New York que par les Québécois », dit-il.

D’ici là, il espère que son camping passera à travers la tempête indemne. Il y a quand même un peu d’espoir : des Québécois ont recommencé à appeler pour la fête du Travail.

« Les gens ont espoir que la vie normale reprenne d’ici la fin de l’été, dit-il. Il ne faut pas désespérer. »